- Bonjour, mon nom c'est Victoria,
- Et moi, c'est Héloïse.
et bienvenue à Une carrière, Une histoire,
Une discussion avec Rhodnie Désir.
Ceci est une séance d'apprentissage
pour le projet Ballet Forward
qui est un projet qui rassemble
environ 30 étudiants
des cinq grandes écoles
de ballet professionnel au Canada.
C'est un projet qui nous permet
d'aborder les questions sur l'équité,
la réconciliation et le racisme
dirigés vers les noirs
dans le monde du ballet,
mais plus important aussi,
de trouver des moyens
pour combattre ces enjeux,
ces enjeux, excusez-moi.
Nous avons comme but
de rendre le monde du ballet
et aussi le monde des arts
plus inclusif et accessible
à toute la population canadienne.
Donc aujourd'hui, on a la chance
et vraiment l'immense honneur
de recevoir Rhodnie Désir.
Donc, madame Désir,
c'est une chorégraphe documentaire,
danseuse et Cheffe de création
avec RD Créations, sa propre compagnie.
Elle a créé une trentaine de créations
et a récemment travaillé avec Danse Danse.
Certains de ses projets lui ont valu
deux prix de la danse à Montréal,
soit le prix Envol
et le Grand Prix de la danse.
La signature chorégraphique de Rhodnie
est liée à ses racines haïtiennes,
ainsi que dans le reste des Caraïbes,
en Afrique et en Afrique centrale,
et en Afrique subsaharienne.
C'est un style qu'on pourrait appeler
comme afro-contemporain.
Rhodnie est une femme
incroyable et inspirante
et surtout vraiment engagée
dans le milieu.
Ce style lui a valu
une reconnaissance internationale.
Merci infiniment Rhodnie
d'être avec nous aujourd'hui.
Donc, je vais vous laisser la parole
pour nous expliquer un peu
votre carrière et tout.
Merci, merci beaucoup
pour cette présentation.
C'est vraiment un bonheur
d'être avec vous à la fois
parce que je peux me replonger
au moment où j'avais votre âge
et que je rêvais
de faire carrière dans le milieu.
Comment résumer ma carrière?
Je pense que c'est important
de ramener le fait que moi j'ai grandi,
j'ai dansé dès l'âge de trois ans
et ma formation première
était le ballet classique.
Et par la suite, j'ai voulu aller
dans le milieu des arts,
mais bien sûr,
venant d'une famille haïtienne,
la compréhension et l'explication étaient,
on veut être sûr que tu vas te débrouiller
dans la vie et dans les arts,
peut-être que c'est pas par là
que le chemin va se faire.
C'était comme la conception à l'époque.
Donc, j'ai été me chercher une formation
en parallèle de ma formation
que je poursuivais en danse.
Qui veut dire que j'accomplisais
deux diplômes en même temps,
un en communication marketing,
puis un autre en danse
à l'époque classique,
mais en même temps,
j'ai tourné un peu plus ma pratique
vers les danses afro-contemporaines
comme vous l'avez aussi bien expliqué.
Ma carrière,
je la résumerais comme étant
des milestones, des jalons
où ce que je mesure constamment
où est-ce que je suis rendue,
puis à quoi moi je peux servir,
et à quoi ma danse peut servir,
et à quoi l'art peut servir.
Et j'aime dire que aujourd'hui,
ce que je fais,
c'est ce qu'on appelle
la « chorégraphie documentaire »
qu'on pourra parler
un peu plus longuement.
C'est une méthodologie
que j'ai voulu développer
pour répondre à l'ambition
de ce que j'avais envie de développer.
Mais peut-être que dans cinq ans,
la danse va me servir
à réfléchir à de l'architecture.
Puis peut-être que dans 10 ans,
ça va me servir à réfléchir
au développement
d'un nouveau pôle culturel.
Je vois la danse comme étant
un élément de carrière,
comme un outil pour ouvrir
des nouvelles portes.
Donc, c'est un peu comme ça
que je résumerais
ma vision de ma carrière.
Donc, mais comme vous l'avez mentionné,
vous avez dit que vous êtes
chorégraphe documentaire.
En fait, et moi je sais pas c'est quoi,
mais est-ce que vous pouvez
expliquer un peu
qu'est-ce que ça veut dire ?
Vous avez aussi dit
que vous étiez Cheffe de Créations
la dernière fois qu'on s'est parlé,
donc c'est comme deux choses
que je voudrais savoir.
Oui en fait, déjà ce que je peux dire,
c'est que ce que je fais en ce moment là,
c'est l'équivalent de ce que je faisais
quand j'avais l'âge de sept ans.
Quand j'étais jeune, je vivais à Laval,
ça, c'est dans une communauté
pour tous les gens qui sont
en dehors de Montréal là,
c'est pas très loin
de la ville de Montréal.
Et donc moi, je m'intéressais
tout simplement à mes voisins, aux humains
puis, je voulais comprendre
comment l'humain fonctionne.
Donc, il y en a qui vont dire
que c'est une démarche journalistique,
il y en a qui vont dire
que c'est une démarche anthropologique.
Mais dans tout ça, moi je voulais juste
comprendre comment l'humain fonctionne.
Puis, j'ai réalisé que la danse
et le fait de poser des questions
quand on crée, quand on veut créer
nous permet d'arriver
à des fois à des hypothèses.
Donc la chorégraphie documentaire,
c'est quoi ?
Ça se fait en, je pourrais résumer ça
en quatre grandes étapes.
J'ai une idée qui vient
souvent d'un défi social.
Par exemple,
si je prends la situation
actuellement de déportation
qui a eu lieu aux États-Unis,
c'est un fléau, c'est un chaos,
et puis, ça soulève beaucoup de points
d'interrogation et d'injustices,
d'iniquité dans le monde.
Donc moi par rapport à ça,
j'ai le choix de me fâcher
derrière mon écran ou de me dire
et si j'interviewais différents
types de pensées
pour mieux comprendre
qu'est-ce qui se passe,
puis peut-être que mon art
pourrait réussir
à amener une vision,
une hypothèse par rapport
à qu'est-ce qui se passe.
Donc, je commence par faire des entrevues.
J'ai ma question,
qu'est-ce qui me dérange?
Qu'est-ce qui me donne mal au ventre?
Puis, qu'est-ce qui fait en sorte
que j'ai envie de crier, d'hurler,
puis que je trouve injuste?
Après ça, je me dis
qui je peux rencontrer?
Et que là, je m'en vais rencontrer
des spécialistes dans un domaine,
par exemple,
je prends la thématique,
ça pourrait être des sociologues,
des politiciens, des travailleurs sociaux,
des organismes d'accueil
de personnes immigrantes
ou des personnes qui sont reliées
aux communautés qui sont déportées.
Ça pourrait être des familles.
Ça pourrait être les gens eux-mêmes
qui sont déportés,
qui sont en transfert,
après des policiers, des policières.
Puis à partir de là,
moi, ça me permet d'avoir
mon sac à dos d'information.
Puis mon sac à dos d'information,
il y a plein d'outils dedans.
Puis ces outils-là,
quand je les brasse dans mon sac,
je peux remettre une partie de ça
à des musiciens,
des musiciennes qui diraient,
je pense que j'entends un rythme.
Puis ce rythme-là,
je pense que ça pourrait m'amener
vers tel genre de gestuelles,
des gestuelles plus circulaires
ou des gestuelles plus de poids,
de physicalité, d'aplomb,
des mouvements plus tranchants
parce que quelqu'un m'a dit ça va vite,
je suis dérouté.
Donc, l'image que j'ai de ces mots-là,
c'est tranchant, physicalité,
poids, taux de voltige,
écoulement par terre, bref.
Donc, je pars de mon idée,
je pars de la question,
j'amène ça dans les témoins,
les spécialistes,
les spécialistes sont l'humain.
Les témoignages m'emmènent
vers d'autres créateurs, créatrices,
concepteurs, conceptrices.
J'amène ça aux interprètes.
Puis pendant tout ça,
je compose aussi des chants.
Donc, je compose des chants
en langage inventé.
Ce que j'aime dire, c'est un langage,
c'est une langue que je ne parle pas,
mais que je parle secrètement.
Et après ça,
j'arrive à la phase de l'œuvre.
Cette œuvre-là, c'est une hypothèse
que je propose aux citoyens, citoyennes
qui deviennent mon public.
Donc, la chorégraphie documentaire
nous permet
de préserver les mémoires des peuples,
nous permet d'escaver
les défis sociaux à partir de l'oralité.
Puis, je reviens dans le fond
à un de mes grands amours
qui est l'oralité
à travers les époques,
la tradition orale qui est de se parler,
puis de raconter des histoires.
Puis je t'ai dit quelque chose,
garde-le en secret,
ça a traversé les époques.
Je pense que ça va battre
le AI longtemps.
Donc, ça fait en sorte
que moi je m'appuie là-dessus,
puis après ça,
je peux développer mon œuvre
et c'est ce que j'ai fait au travers
de la plupart de mes œuvres,
donc, ça m'a amené à me connecter
avec des spécialistes
scientifiques en sciences sociales,
anthropologie, histoire,
ethnomusicologie,
ethnologie et j'en passe.
À me connecter à des spécialistes
en l'environnement
par rapport aux changements climatiques
comme on a demandé.
Ça m'a amené à me connecter
à des spécialistes comme en ce moment,
ça va être la théologie,
[l'anthologie] astrophysique.
Donc là, ça, comment est-ce que le corps
le déploie en chorégraphie documentaire?
C'est d'être à l'écoute,
puis d'essayer de mettre son corps
à disposition avec son savoir.
C'est tout ce que je peux dire.
Donc voilà, là j'ai parlé beaucoup,
mais en gros,
c'est ça la chorégraphie documentaire,
je ne sais pas si c'est clair.
J'ai vu des vidéos vous avez fait
une chorégraphie sur le cœur.
Oui.
J'avais trouvé ça vraiment beau,
mais je pense ça,
c'est de la chorégraphie documentaire
si vous avez vraiment représenté
pas le coeur dans le genre comme ça
mais là vraiment,
le cœur humain en mouvement.
J'ai vu des vidéos,
mais j'ai trouvé ça vraiment beau.
Mais ce qui est vraiment intéressant.
En fait, ce que je trouve fascinant
avec les chorégraphies documentaires,
puis pour de vrai,
je pourrais faire ça toute ma vie.
C'est la chose que je me dis.
Je peux avoir 90 ans,
puis me demander encore
comment on va faire
pour expliquer à des gens,
des défis de jeunes
qui ne trouvent pas
leurs repères par exemple.
Ou un enfant de cinq ans
qui vit la malnutrition
mais qui doit quand même aller à l'école,
son histoire de résilience,
comment on la raconte.
Donc, ce qui est intéressant
avec l'histoire du cœur,
[la symphonie] de cœur,
c'est que moi, je me suis toujours dit,
je vais jamais créer une pièce sur l'amour
parce que je pense pas
que j'ai grand-chose à dire,
puis, ça m'épate pas tant que ça
comme thématique.
Pas parce que j'aime pas
l'amour en lui-même,
mais parce que je ne voyais pas,
il était où le nœud
que j'avais envie d'adresser.
Et quand je me suis intéressée
aux maladies cardiovasculaires
et aux histoires de résilience
que les gens vivent
et comment dans le corps, le cœur
et tout le système cardiovasculaire
qui est directement relié
à la danse fonctionne.
Et en rentrant
dans des salles d'opération,
puis en voyant des cœurs ouverts,
puis en voyant le système qui bouge,
puis en voyant comment les les équipes
dans les salles d'opération fonctionnent,
c'est des chorégraphies sous nos yeux.
Je suis sortie de là
en ayant plein de matières
pour ensuite de se diriger
également avec la cheffe d'orchestre
des orientations pour les orchestres
en disant, là ils vont jouer
avec plus d'aplomb
parce que dans la salle
quand les instruments tombent,
j'ai besoin qu'on crée un vrai chaos
pour que ça soit placé.
J'ai pu retracer
la transplantation cardiaque,
c'est quoi vraiment le vide
et j'ai pu dire aux musiciens,
ça fait peut-être 40 ans que vous jouez
la même chose super bien,
mais là j'ai besoin que vous fassiez
comme si vous ne savez plus comment jouer
parce que la transplantation cardiaque,
c'est ça, comment on te met
un nouveau cœur dans ton corps,
ton corps déraille,
et puis, tu as beau avoir
la meilleure technique du monde,
faut que tu enlèves tout ça d'un coup,
puis tu repars à zéro.
Donc ça, c'était un défi
aussi pour les musiciens.
C'est que la chorégraphie documentaire
en d'autres mots
pour arrêter de parler de ça,
mais pas pour parler longtemps,
c'est vraiment un outil qui nous permet
de mieux mettre à défi la danse,
de mieux mettre à défi
le pouvoir de l'art,
puis de mieux mettre à défi
où est-ce que l'humain se trouve
aujourd'hui dans la société.
C'est vraiment fascinant.
Oui, mais c'est clair
que vous êtes très présente
et involved avec tous
les problèmes sociaux.
Est-ce que vous personnellement,
il y a une raison ou il y a une histoire
que vous avez pour laquelle
vous êtes tellement intéressée
dans les problèmes qu'on a
dans notre société aujourd'hui,
quelque chose de personnel
qui a vraiment comme fait naître
cette envie de rechercher et de créer?
Oui, en fait, je pense
que je pourrais nommer qu'en 2014,
j'ai commencé la méthodologie
chorégraphée en 2015.
J'ai officiellement commencé
la méthodologie chorégraphique
documentaire.
En 2013, j'ai créé une pièce
qui s'appelle BOW'T
qui parle de migration, déportation.
Puis, je voulais faire
le pont mythologique
entre ces deux thématiques-là.
Et quand est venu le temps
de faire circuler l'œuvre BOW'T,
ici à Montréal, au Québec,
mon agente et moi on s'est butés
à des barrières systémiques
qui se traduisaient comment?
Par principalement,
c'était la danse que Rhodnie fait,
elle est très traditionnelle,
alors que j'ai jamais fait
de danse traditionnelle
dans mes œuvres créées.
J'ai pris des cours,
mais ça n'a rien à voir
avec ce que je présente.
Donc, j'ai réalisé qu'il y avait vraiment
un grand défi dans la compréhension,
puis il y avait beaucoup
de freins qui étaient mis
au-delà de l'analyse
de l'excellence de mon œuvre.
Est-ce qu'elle est excellente ou pas?
Puis la compréhension de c'est quoi
l'excellence d'une œuvre dans un langage
qui n'est pas en ballet classique
ou en danse contemporaine neurocentrique?
Comment la danse contemporaine,
elle est vulgarisée?
J'ai vu qu'il y avait des barrières,
qu'il y avait encore
beaucoup d'éducation à faire.
Donc, j'avais envie de quitter le milieu.
Je ne me voyais plus
du tout dans le milieu.
Il y a quand même une belle bouée
de sauvetage qui est arrivée,
que j'appelle comme une idée
de développer un projet
dans lequel j'avais démontré
à quel point les cultures africaines
et afro-descendantes
sont purement contemporaines.
Et même si elles sont nommées,
même si elles sont ancestrales,
elles sont contemporaines
parce qu'elles se conjuguent
directement avec les gens
dans le moment présent
qui la crée et qui la renouvelle.
Donc j'ai créé BOW'T TRAIL.
BOW'T TRAIL, c'est un parcours
de mémoire dans les Amériques
qui m'a emmené
sur sept territoires des Amériques
à recréer à chaque fois la même pièce.
Puis quand je dis recréer,
c'est que j'ai l'œuvre BOW'T.
Il y a comme les muses sur scène,
il y a mon corps, il y a un musicien,
puis il y a trois boîtes de bois.
Donc, ces trois boîtes de bois
m'ont suivie en Martinique, en Haïti,
au Brésil, en Nouvelle-Orléans,
au Mexique, à Halifax
et [Chojag] et Montréal.
Et donc j'ai pris la même œuvre,
puis je me suis dit
et si je me donnais 30 jours
pour la recréer de A à Z
avec les musiciens et musiciennes locaux.
Puis en même temps, je ne connais pas
les musiciens et musiciennes.
Je ne sais pas si on va s'entendre.
On parle même pas les mêmes langues,
je parlais pas portugais.
J'ai baragouiné quelque chose
pour essayer de dire :
« Est-ce qu'on peut développer ça,
voici mon idée au Brésil? »
Ils me disaient : « Reviens,
on sait pas quelle langue que tu parles.
Là, on a un show dans deux semaines,
puis on ne comprend pas,
mais de par ta gestuelle,
je pense qu'on se comprend. »
Donc, la danse m'a m'a ouvert des portes
finalement à parler des langues
que je ne parle pas,
puis à réussir à créer.
Puis au bout de 30 jours,
je présentais dans un lieu
de mémoire mon œuvre.
Et l'œuvre BOW'T qui est créée
dans chacun des pays
ne va jamais circuler,
pas dans ma vie, pas dans ma mort.
C'est déjà dans mon testament,
ça ne peut pas circuler.
La seule œuvre qui peut circuler,
c'est BOW'T TRAIL Retrospek
qui est l'œuvre en fait
où le territoire, c'est mon corps.
Et donc, en retraçant la mémoire
et l'histoire des peuples afro-descendants
dans les Amériques,
j'ai effectué des entrevues
avec des spécialistes
sur chacun des territoires.
Puis là, j'ai réalisé
que c'est vraiment trippant.
C'est dur de faire le BOW'T TRAIL,
mais il y a quelque chose de beau,
de croustillant dans le fait
de rencontrer des gens,
puis de rentrer directement au studio,
puis de créer à partir
de ces témoignages-là
et non pas de plonger
dans des livres d'histoire
qui encore une fois, l'histoire est mal
racontée dans les livres d'histoire
sur les questions africaines,
afro-descendantes,
du moins est en train d'être réécrite,
mais elle a malheureusement
été mal écrite.
Donc, qu'est-ce qui me pousse aujourd'hui
à continuer la chorégraphie documentaire?
Parce que je vois
que c'est un outil de changement social,
possible de changement social.
Qu'est-ce qui me pousse à créer
face aux injustices?
Moi, j'ai grandi dans une famille
où ce que la question du droit
était discutée à la table à manger.
Mes parents sont venus au Québec
durant l'époque de Duvalier,
Duvalier père.
Donc, c'est sûr que la radio haïtienne
et la radio québécoise,
et la télévision américaine étaient
ouvertes en même temps chez moi.
J'entendais les défis d'un peu partout
et mes parents nous emmenaient à parler
avec appelons des défis,
puis à essayer de les résoudre à la table.
C'est comme si on prenait
l'enjeu de la Colombie
puis on se disait,
ah on n'est pas d'accord
qu'est-ce qui se passe ?
Puis là, on on débattait à table,
donc, j'ai été entraînée à réfléchir
à comment en tant qu'être humain,
on a un rôle
dans les décisions qu'on prend,
mais également à être au fait
des iniquités sociales
que ce soit au niveau
de la hausse flagrante de l'itinérance
et de profils de gens
qui habituellement n'étaient pas reconnus
comme étant des personnes itinérantes,
mais qui du jour au lendemain
en raison de la situation des logements
se retrouvent dans cette iniquité.
Donc pour moi,
je repère rapidement
les situations d'iniquité
quand elles sont nommées,
même quand elles ne sont pas
nommées aussi.
Et je me suis toujours dit que l'art
est une arme extrêmement puissante
et que si je fais usage de cette arme-là,
il faut que ça soit pour faire chavirer
quelque chose qui a le même poids.
Ça, c'est ma devise à moi.
Ça ne veut pas dire que je ne vais pas
être amenée à créer des œuvres
pour le plaisir, mais je veux vraiment,
je veux qu'il y ait une cause
à laquelle je réponde.
Ça, c'est pour moi, c'est mon art.
Donc là, on veut comme un peu changer
de sujet si ça vous dérange pas
parce qu'en fait Ballet Forward,
c'est basé sur le racisme anti-noir,
donc le but du projet,
c'est d'ouvrir les mentalités et tout.
Puis je voulais savoir si le ballet
est ancré en Europe
sur des bases conservatrices
et traditionnelles il y a longtemps.
C'est qu'un ore qui peut discriminer
puis exclure beaucoup de communautés.
Puis est-ce que le racisme
est quelque chose,
si vous êtes à l'aise d'en parler,
c'est quelque chose
que vous avez déjà senti
ou vous avez déjà vécu
encore et toujours dans le milieu
et avant aussi bien sûr.
Je pense que la base,
il y a beaucoup de layers là-dedans.
Ce qu'il faut se rappeler,
c'est que le corps
est un des instruments
les plus magnifiques pour se rallier
et un des instruments les plus drastiques
et épouvantables pour nous discriminer.
Et étant dans un milieu,
donc la danse où ce que le corps,
c'est l'outil principal,
malheureusement, que ce soit en ballet
ou dans d'autres formes,
il y a le regard et la perception
qui deviennent un outil de mesure.
Donc, qu'est-ce que je perçois
de la capacité d'un corps
avant même qu'il bouge?
Est-ce que je sens
qu'il rentre dans les catégories
que ma pratique défend
ou ma pratique dit?
Je prends un exemple.
Quand j'avais 11 ans,
j'avais passé plusieurs auditions
parce que je voulais rentrer
dans un profil programme études
dans cette étude-là.
Donc à l'époque,
il y avait dans votre école
qui auparavant m'ont dit quel nom
ça portait l'école... supérieure.
Danse?
Non, il y avait un autre nom,
je vais trouver...
je ne sais plus le nom,
mais il semble qu'il y avait
le titre École supérieure de...
[Inaudible], bref.
Cette école, j'avais appliqué
comme la plupart des jeunes filles
qui appliquaient [derrière Laporte],
donc surtout des filles.
Puis j'avais appliqué aussi
à l'école [Laporte].
Et quand j'ai reçu,
c'est sûr que je voulais faire
partie de la première école
de laquelle j'avais appliqué.
Quand j'ai reçu ma lettre de refus,
ma lettre de refus
ne me disait pas juste
que j'avais eu un refus.
Elle analysait mon corps
selon des stéréotypes
de qu'est-ce que le ballet devrait avoir.
Et donc pour de vrai,
je pense que j'aurais dû garder ma lettre,
elle décortiquait mes muscles,
que mes muscles de jambes
étaient trop larges
par rapport à l'esthétisme
qui était souhaité,
que mes rondeurs ne répondaient pas
aux cas d'esthétique,
c'était mais d'une horreur,
ce que j'avais reçu,
et je suis convaincue qu'aujourd'hui,
c'est pas le genre de lettre qu'on envoie
parce que les époques ont évolué
et qu'il y a beaucoup d'éducation
qui a été faite
Mais cette lettre,
quand je l'ai ouverte,
moi j'attends la poste.
Je vois le facteur qui arrive,
j'ouvre ma lettre,
je suis comme toute excitée.
Puis, c'est une chape de plomb
qui est en train de sculpter
d'une nouvelle façon
qu'est-ce que moi
je devrais avoir comme corps.
C'est comme si on disait
aux jeunes personnes
qui veulent devenir
danseur ou danseuse,
prends un magazine, regarde ce corps-là,
puis rentre ton corps dedans.
Mais si tu ne fit pas, you're out.
Et étant dans un milieu
où ce que l'excellence,
mais surtout je dirais l'exigence,
l'acharnement qui peut être positif là,
à vouloir atteindre une perfection,
à se surdépasser.
Quand tu es très jeune
et puis que tu as déjà
été entraînée à ça,
quand tu reçois une lettre comme ça,
qui te dit, va sculpter
ton corps autrement.
Tu corresponds pas aux codes culturels
qu'on veut dans le ballet.
C'est même pas une question
de hauteur ou autre.
C'est vraiment ton corps,
il va jamais « fitter ».
Et je me rappelle avoir été
en miettes à ce moment-là.
Heureusement qu'il y avait Laporte
qui faisait ces auditions
pas très loin après,
puis que j'ai été sélectionnée,
mais je me rappelle encore
être assise pendant mon temps d'été
avec les autres personnes de ma classe,
puis qu'on se racontait
ce qu'on avait reçu
de cette école-là comme lettre.
Donc ça, je considère que c'était oui,
des actes de discrimination sélective
de par la physionomie culturelle
que je portais
et non pas son accomplissement
en termes de gestuelle, d'excellence,
son background d'apprentissage
du ballet classique.
Tu n'es pas sur un outil de mesure
comparable par rapport
à l'expérience d'apprentissage.
C'était basé purement sur de l'esthétique.
Et ça, pour moi,
ça a été un des grands freins que j'ai vu
parce que je ne me voyais pas,
alors que j'étais bien souvent
la seule personne noire dans mes classes.
Je ne voyais pas ces discriminations
jusqu'à ce moment-là
et par la suite au secondaire,
mais c'est certain que l'attribution
de certains rôles,
les grands rôles,
je n'y accédais pas nécessairement
parce que c'était assez rapide
qu'on écartait la possibilité.
Ce qui était aussi chavirant
malheureusement en ballet,
c'est que souvent ton corps
dans le corps de ballet,
là, on ne te le dit pas,
mais des fois ça peut être sournois.
Si on te prend puis qu'on te dit,
va de noveau au bout,
tu sais, va au bout.
Là, tu te dis,
première œuvre, je vais au bout,
deuxième œuvre, je vais au bout,
troisième œuvre, je vais au bout.
Toutes les œuvres,
je me mets toujours au bout
dans toutes les photos que je regarde,
j'ai été toujours mis au bout.
Qu'est-ce que je viens déranger
dans le corps de ballet?
Est-ce que c'est parce que
je viens de débalancer la photo ?
Ou est-ce que c'est vraiment
parce que mon rôle
devrait être à droite tout le temps?
Et tant on peut le voir facilement
pour même des photos officielles
d'autres domaines.
Donc pour moi, c'était comme la chose
qui venait tout le temps me soulever
un questionnement
notamment en ballet.
La question sur l'ouverture,
j'ai eu des conversations aussi,
sur l'ouverture dans le corps.
Ah mais tu sais dans le fond,
c'est correct,
est-ce que tu peux être
juste à ce niveau-là?
Puis, je me disais mais non,
je peux travailler mon extension,
c'est pas que je peux pas.
Donc, ce sont
des petites semences d'information
qui pendant que le piano joue,
puis qu'on entend « And one and two »,
puis [qu'on respire pour voir], etc.,
que cette information
aussi vient de se placer
au même moment
qu'un ajustement de posture.
Et ce qui se passe,
c'est que c'est sournois
mais ça vient malheureusement sculpter
qu'est-ce que toi,
tu as comme perception de ton corps,
là, tu veux faire
plus, plus, plus, plus, plus
que la personne devant toi
ou qui est derrière toi
dans l'exercice de la barre par exemple.
Donc ça, ce sont des petites choses
qui font en sorte que comme
d'autres personnes dans ma classe
qui sont passées par là,
j'ai toujours fait plus, plus, plus.
Puis même quand les classes terminaient,
je restais en classe,
puis je faisais plus, plus, plus
pour pouvoir répondre
non seulement à la note
qui a été donnée dans la classe
pour tout le monde,
répondre à mes propres notes à moi,
puis faire mieux parce que
faut que je fasse mieux.
Donc ce que ça amène,
c'est que tu n'es jamais à ta place.
Et je me rappellerai toujours,
j'ai eu une professeur un jour,
Marie-Rose Chama, à qui je parle encore
qui est venue me voir un jour
puis qui m'a dit Rhodnie,
faut que je te raconte
qu'est-ce que tu risques de vivre.
Et cette femme est d'origine libanaise,
puis, elle m'a pris à part,
puis, elle m'a dit :
« Là, tu vas vivre des barrières,
tu vas vivre du racisme dans le milieu,
puis, il y a différents marchés,
là, tu vas rentrer
dans des auditions bientôt.
Puis, je veux juste
te préparer tout de suite. »
Et cette femme-là, pour moi,
je ne comprenais pas à l'époque,
je me disais pourquoi elle me dit ça?
Mais non, je suis correcte.
Mais elle me préparait
à qu'est-ce que le ballet me présentait.
Et qu'est-ce qu'on ne me disait pas
à haute voix,
mais elle a eu le courage
de me le dire très clairement.
Et c'est par la suite que justement,
j'ai choisi d'autres formes artistiques
parce que moi, ça répondait
vraiment à ce que je voulais,
mais c'est certain que se faire dire :
« Là quand tu montes sur les pointes,
tu n'as pas une ligne parfaite
parce que on le sait,
ton corps est fait différent. »
Ce sont des petits ajustements,
mais comme on sait
que dans le ballet où la danse,
c'est des constants ajustements
qu'on veut tout le temps être
tellement sur la ligne en perfection
avec l'ensemble,
puis vraiment faire un grand corps
ou être soliste,
ça fait en sorte qu'on est mis à l'écart.
Donc voilà, ça c'est une longue histoire,
mais que je peux en raconter
plein d'autres comme ça.
Après d'avoir tout partagé avec nous ça,
j'ai une question et une question aussi
qui vient de [mes pairs] :
pour les gens qui sont,
je ne sais pas si dans la même situation,
mais qui partagent un sentiment
de rage ou de tristesse
ou de sentir qu'ils ne vont
jamais être à leur place,
avez-vous des avis
que ce soit des conseils,
des conseils comme je ne sais pas
si c'est plus dans le genre personnel
ou d'essayer de comprendre
le monde de la danse ?
Mais oui, juste des conseils à partager.
Je pense que la colère,
elle est valable dans ces moments-là.
Puis souvent, on va vouloir
parce qu'on apprend à être...
et je pense que dans le ballet, moi,
c'est qu'est-ce que
ça m'a appris entre autres ?
Puis après ça dans d'autres formes,
j'ai appris autre chose
mais tu sais la retenue, la politesse,
on ne dit pas trop,
on monte pas trop,
monte pas, monte pas, tu sais.
S'éduquer, c'est la meilleure des choses.
Il faut s'éduquer.
S'éduquer,
parler avec différentes générations.
Moi, j'ai parlé avec, et je parle encore,
j'ai encore des mentors
et j'arrêterai jamais d'avoir des mentors.
Puis oser cogner à la porte d'une personne
que tu sais même pas cette personne-là
a peut-être eu ce vécu-là,
mais te dirais, toi-là
comme il y a 10 ans,
puis il y a 20 ans, puis il y a 30 ans,
est-ce que ça se pourrait
que tu aurais vécu ça?
Puis, est-ce que tu pourrais m'en parler?
Partager,
ne jamais douter de son instinct.
Tu le sais
quand il y a une discrimination,
il y a pas de millions de chemins là.
Et souvent on te fait dire,
non voyons donc, t'exagère.
Et moi ce que j'ai appris,
c'est quand ton petit instinct te dit
que c'est une discrimination,
disons que 95 % du temps, c'est ça.
Et peut-être il y a eu un 5 %
où je me suis dit,
oui, j'avoue que ça peut-être,
que j'ai été un peu vite dans la chose.
Mais le fondement
d'une discrimination surtout sournoise,
sournoise étant,
on ne te le dit pas dans ton visage,
on ne te le dit pas directement,
mais ce sont dans les actions
que tu t'en rends compte.
Ça peut être à la fois
sur t'asseoir à une table
ou s'asseoir quelque part
puis la place se comble,
puis t'as plus de place,
donc là, tu sais plus trop où te placer.
Ça peut être dans l'attribution
de certains rôles.
Puis, moi ce que j'ai appris,
c'est de confronter intelligemment,
puis, c'est pas toujours facile,
c'est pas encore facile de le faire.
Mais la conversation,
une fois que tu t'es affirmée,
est souvent un outil redoutable.
Et d'oser questionner
sans chercher de réponse,
oser questionner l'adversaire je dirais
ou oser questionner la personne
ou les contextes.
Puis quand c'est une situation collective,
parce que ça arrive aussi
que ce soit collectif,
malheureusement,
c'est de faire stop sur le temps,
puis de dire : « On a besoin de se parler.
Puis là, vous avez besoin
d'ouvrir vos oreilles,
vous serez vraiment pas
content de ce que je vais dire.
Mais il va falloir qu'on fasse
un miroir de la situation.
Puis, vous n'aimerez
peut-être pas mon miroir,
vous serez peut-être pas content
ni même d'accord avec mon miroir,
mais j'attends pas une réponse
de vous aujourd'hui.
Je vous demande juste de comprendre
qu'il y a peut-être
un miroir quelconque. »
Puis c'est de prendre son courage,
puis de le présenter.
Puis des fois, ça fait son chemin
pour les personnes.
Il y a eu vraiment
de magnifiques histoires
de réconciliation, de rencontres,
de respect, d'excuses qu'ils t'ont faites
et ça j'y crois.
L'être humain,
tout comme les autres espèces,
est amené à s'adapter
et est amené à évoluer.
On n'est pas contraire aux autres espèces.
Après ça, il y a du monde qui sont durs.
Bon, mais tant que les choses
se font dans le respect,
puis des fois, c'est bon
de laisser passer du temps.
Et moi, j'ai laissé passer
sur certaines choses
et je restais sans dire un mot
pendant plusieurs années,
pas parce que je ne voulais pas dire mot,
pas parce que je dis pas
un mot devant les gens
que je ne fais rien en arrière.
Et je pense que le BOW'T TRAIL
en est un exemple.
Quand c'est sorti,
le web documentaire de 75 vidéos
qui m'ont dit
que j'en ai encore des vidéos
qui ne sont pas encore sorties
que j'ai juste hâte de sortir.
Quand Radio-Canada m'a annoncé
trois jours après que j'avais
accouché de mon petit
qui prenait un web documentaire,
la websérie et un moyen métrage,
je tenais mon enfant,
puis je disais à mon équipe :
« Est-ce que vous me laissez
un peu genre une semaine,
je viens d'accoucher. »
Puis, je m'attendais vraiment pas
à ce qu'on ait trois projets en même temps
qui sortent à radio Cannes.
Alors que j'avais vraiment peur
de ne pas être capable de sortir
tout ce que j'avais récolté
au travers des années
parce qu'il n'y avait
aucun diffuseur qui disait oui.
On se faisait dire non,
que ça n'allait pas intéresser les gens,
puis que c'est ça.
Donc,
je crois profondément
dans la conversation,
mais dans son temps.
Puis quand je dis dans son temps,
c'est que pas tout le monde
qui est rendu à converser.
Il ne faut pas se forcer soi à converser.
Puis même quand il y a
une situation de discrimination,
puis d'aller, on va s'asseoir,
on va parler.
Si tu n'es pas prêt, tu n'es pas prêt.
Puis, tu as le droit de pas être prêt.
Puis les discriminations,
c'est des scars dans l'âme.
Ça reste bien souvent pour la vie.
Et cette profondeur-là,
si c'est moindrement saisi par les gens,
ça va leur permettre de comprendre
pourquoi il n'y a pas de conversation,
pourquoi ça peut prendre
cinq ans, six ans, sept ans,
pourquoi il va y avoir une distance
et pourquoi rendu au moment de se parler,
ce sera le bon moment.
Donc se rencontrer,
se laisser du temps, s'éduquer,
lire, voir des documentaires,
parler avec des gens.
Je pense qu'on va être
dans nos dernières questions,
je vais parler encore
un peu de vos créations,
puis, on avait pensé tout à l'heure,
on avait dit,
comment est-ce que vous abordez
justement les racistes
et les enjeux comme ça
dans vos créations?
Je sais que vous nous avez expliqué
comment vous faisiez un peu
avec le la chorégraphie documentaire,
mais vraiment, on parle de racisme
et si vous en avez déjà fait une,
comment vous êtes basée,
est-ce que vous avez comme sur quoi,
est-ce que c'était sur votre passé,
sur des témoins?
Ce qui est intéressant
dans la chorégraphie documentaire,
c'est que c'est jamais à propos de moi.
Je peux partir d'un vécu,
je pense que comme
n'importe quelle personne,
on est biaisé sur un sujet
parce qu'on a un vécu.
Puis la beauté,
c'est que le parcours du BOW'T TRAIL
parce que mes œuvres parlent pas
toutes de racisme et de discrimination.
Même le BOW'T TRAIL, c'est un parcours,
oui qui parle de la traite négrière,
qui parle des discriminations,
mais qui met de l'avant
et les 15 musiciens avec qui
j'ai travaillés à travers le monde,
ça met de l'avant la force de résilience,
la force de recréation culturelle.
Je veux dire c'est quand même
assez fascinant qu'aujourd'hui,
aujourd'hui là, on est capable,
on est même pas capable en fait
de nommer tous les rythmes
et tous les mouvements musicaux du monde
qui existent basés sur les rythmiques
africaines, afro-descendantes
parce qu'au moment où on se parle,
il y en a plein d'autres
qui vont en train de se faire,
qu'on est même pas au courant.
Puis, je prends un exemple
quand j'étais au Brésil,
il y a ce qu'on appelle le Passinho.
Puis le Passinho,
c'est les jeunes des favelas
qui sont venus me parler de ça.
J'étais dans un musée qui s'appelle
El Museo de los Pretos Novas,
à Rio de Janeiro.
Ils étaient assis avec des chercheurs,
puis on parlait,
puis, je parlais de ma recherche.
Il y a une dame silencieuse
qui m'a dit, moi, je suis avocate,
je suis aussi danseuse, Carolina Perez,
j'étais la seule avocate noire
dans mon université,
puis, j'ai lancé un mouvement
qui permet aux jeunes de se mobiliser
plutôt que d'utiliser des armes.
Puis à l'époque, c'était chaque...
je pense que c'était chaque 30 minutes.
Oh mon Dieu, il faudrait
que je revoie la statistique.
Chaque 23 minutes,
il y a un jeune noir
qui meurt en raison
de racisme systémique au Brésil,
puis ça, c'était en 2016.
Donc cette situation-là,
elle m'a dit moi, j'ai des jeunes,
puis, ça se peut qu'il y en ait un
qui part un moment donné
parce que la police a décidé
autrement de sa vie.
Puis quand je suis arrivée au Brésil,
il y avait une manifestation de mères,
afro-descendants et autochtones
qui marchaient côte à côte
pour lutter contre
les discriminations raciales.
Quand on dit parler de racisme
dans ses œuvres,
pour moi, c'est plutôt de donner voix
à ces femmes qui ont marché dans la rue,
de donner voix à ces jeunes
qui m'ont parlé du Passinho,
qui me disent, nous on danse
à pieds nus dans la favela
pour dire qu'on existe encore.
Puis comment je leur ai donné
une voix dans l'œuvre,
j'étais tellement en larmes
quand ils m'ont raconté leurs histoires
que moi normalement, c'est un solo,
puis, je leur ai dit,
je ne peux pas danser un solo.
Je ne peux pas,
ça serait ne pas vous écouter.
Ce qui fait qu'à la moitié de mon œuvre
quand je vais ouvrir mon message,
parce que j'ai toujours un message
dans mon œuvre,
mais j'ai besoin
que vous débarquez de l'audience
puis que vous veniez sur scène
et que faites ce que vous voulez,
on n'est pas dans quelque chose
d'excellence, perfection,
on est dans l'excellence de dire
aux gens que vous existez,
puis ça se peut que vous ne soyez plus là.
J'aimerais que vous veniez
prendre parole dans mon œuvre,
puis, vous en faites ce que vous voulez,
ça vous appartient.
Donc pour moi, c'est ainsi que je parle.
C'est ainsi que je donne voix
parce que je fais des ponts
avec des réalités.
Puis ces jeunes-là, on s'est reparlé,
ils avaient les larmes aux yeux,
ils me disaient : « Rhodnie,
tu as compris notre réalité,
tu as compris ce qu'on vit. »
Puis pour moi, je suis contente parce que
j'ai pu montrer aux gens que j'existe,
mais on n'est pas dans applaudir une œuvre
parce qu'elle est belle ou pas.
On est dans des questions
de vie ou de mort.
Et c'est ça finalement,
le BOW'T TRAIL aussi.
Donc, le BOW'T TRAIL raconte ça.
Puis, comment je retrace ces images-là,
c'est dans la pesanteur
que ça réside dans mon corps.
Donc, quand je danse
BOW'T TRAIL Retrospek,
je vous mettrais même au défi d'apprendre
un extrait de BOW'T TRAIL Retrospek.
Tu as besoin de ressentir
les 140 témoignages dans ton corps
qui parlent en même temps,
puis un geste,
c'est 140 voix en même temps.
C'est ça le poids
de BOW'T TRAIL Retrospek.
C'est pour ça que je l'adore [ce soir].
Donc,
aborder les questions d'iniquité,
c'est accepter de mettre son corps
dans un four à Braun.
Comme ça, oui.
On est loin de l'esthétisme.
On enlève pas l'esthétisme.
Mais tu sais,
danser, ça va au-delà de se dire,
je veux atteindre ça.
Qu'est-ce que tu portes en toi
comme message tellement fort
qu'il faut absolument
que tu le passes à quelqu'un d'autre.
Moi, c'est c'est ça qui m'intéresse
dans mes œuvres.
Voilà, je m'arrête là.
- C'est super inspirant, merci beaucoup.
- Rhodnie, merci.
Merci beaucoup.
Juste dernière question
pour conclure un peu la discussion,
vous travaillez sur quoi en ce moment?
Des projets, des choses comme ça?
Oui donc en ce moment,
c'est vraiment mon beau bébé,
donc en ce moment, je mets à jour enfin
quelque chose que je veux
développer depuis 10 ans
qui est un laboratoire
chorégraphique documentaire
qui veut dire que RD Créations
ayant développé une expertise aujourd'hui
en chorégraphie documentaire,
on lance maintenant deux laboratoires
en même temps,
ça veut dire qu'on développe
nos œuvres en forme de prototype,
un peu comme des ingénieurs
qui font de la recherche développement.
Nous, on fait du prototypage d'œuvre
pour voir tout le potentiel
autour de l'œuvre
à la fois au niveau des partenaires,
des costumes, de la danse, d'éclairage.
Donc, on vient d'entrer
deux prototypes de création
pour nos deux sujets.
Le premier s'appelle SCÒ.
SCÒ aborde la question des scolioses.
Moi, j'ai une scoliose.
Et puis, quand on parle
de résistance en équité,
j'ai une scoliose,
puis j'ai failli me faire opérer.
Mais j'ai quand même continué de danser.
Donc, SCÒ aborde la question
de toutes ces torsions psychologiques
et physiologiques
que les jeunes filles adolescentes
ont à porter jusqu'à l'âge adulte.
Et puis, je dis jeune fille parce que
c'est principalement 90 % sinon plus
de jeunes filles qui portent.
Et ça va devenir en ce moment
une installation numérique
avec performance
et performance musicale.
Puis en fait, on travaille
également prochainement,
donc là, je commence là en ce moment
ma recherche par rapport à KÒSA.
KÒSA en créole, ça veut dire ce corps-là
et on aborde la question de la mort
racontée à partir des enfants
et à partir de spécialistes
en astrophysique,
en théologie et en dermatologie.
Wow!
Est-ce que c'est un petit peu par rapport,
mais est-ce que vous avez
des endroits où vous les présentez
ou ça va être sur internet,
est-ce que vous savez encore...?
En fait, la beauté,
c'est que quand on embarque
dans un laboratoire
chorégraphique documentaire,
on se donne la liberté de ne pas
savoir qu'est-ce qui va sortir,
puis c'est ça qui est le fun.
Par exemple, SCÒ,
j'étais convaincue que ça allait
être une œuvre de groupe
avec peut-être quatre, cinq interprètes,
puis on allait avoir des objets
scénographiques sur scène,
puis les musiciens avec qui on travaille,
le groupe Aukan à Toronto,
on se dit OK,
ça va être une œuvre sur scène.
Et au bout de 36 heures de création
en laboratoire avec scénographe,
vidéaste, coordonnatrice d'éclairage,
les témoignages que j'ai récoltés
de Saint-Justine, de chiropraticiennes,
beaucoup de monde.
Et avec l'Université de Montréal
en partenaire aussi.
À la fin, j'ai réalisé que ce n'était pas
un show de danse sur une scène régulière,
que le message devait se canaliser
dans une installation audio,
numérique, projection
et performance de temps en temps,
ce qui veut dire que notre nouveau marché
devient des musées.
Donc, RD Créations
a déjà monté une exposition,
l'exposition Conversation,
mais là on va faire
notre deuxième itération
en installation numérique,
puis ça va être le projet SCÒ.
En fait, on est pile poil là-dedans
en ce moment,
ce qui veut dire que la danse,
puis la chorégraphie documentaire
nous emmène vers autre chose.
Et en ce tenant cette liberté-là,
si on avait scellé tout de suite
avec un diffuseur en danse,
là, on serait mal pris pour lui dire,
finalement sais-tu quoi,
c'est pas un show de danse.
Le show de danse arrive
dans la performance
de l'installation numérique
qui devrait être dans un musée.
Tandis que maintenant,
on est capable vraiment
d'avoir une vision encore plus claire,
une proposition plus posée,
puis une capacité d'aller
rallier des partenaires
qui vont être d'autant plus orientés
vers ce qu'on veut faire.
Puis pour KÒSA,
moi, j'imagine que c'est
mon prochain symphonie
parce que c'est quand même une œuvre
qui risque d'être assez grosse
en raison des trois grands sujets
qu'on aborde.
Et puis c'est une œuvre
qui s'en va en 2028, 2029.
Donc, on travaille sur des trois ans,
notre compagnie, nos créations
sortent pas ou peu,
le plus tôt c'est deux ans et demi,
deux ans et quelques de travail,
mais la chorégraphie documentaire
demande trois ans de travail.
Il faut vraiment, vraiment
avoir une bonne documentation,
un archivage pertinent,
les partenaires ralliés,
une chorégraphie où ce que la signature,
elle est d'autant plus pointue.
Puis il ne faut pas oublier la polyrythmie
pour RD Créations puis dans le langage,
la chorégraphie documentaire
qui est vraiment important.
Si on veut que le langage de corps
soit vraiment fort,
il faut que le langage musical aussi
soit écrit en même temps
que le langage de corps.
Donc ça, c'est un autre corps
qu'on pourrait parler longuement là,
c'est quoi le lien
corps musique, corps instrument.
Oui,
le rôle du musicien ou de la musicienne
en tant qu'accompagnateur, accompagnatrice
en dehors de la classique
parce que c'est tout un univers
dans la polyrythmie.
Super inspirant, c'est vraiment inspirant.
Puis, merci beaucoup de nous avoir
donné de votre temps pour discuter,
discuter comme ça,
c'est vraiment intéressant.
Ah ça fait plaisir,
mais j'ai une question pour vous.
Oui.
J'aimerais savoir aujourd'hui
vous regardez, tu sais,
le milieu de la danse
puis vous avez vos rêves,
à quoi vous rêvez?
Je pense que de toucher les personnes
parce que je rêve d'être sur la scène,
mais plus que de m'impacter moi,
je veux impacter
ceux qui sont autour de moi.
Alors je pense que tout ce que
vous nous avez expliqué aujourd'hui,
vous avez partagé avec nous,
c'est inspirant
parce que ça me confirme
que c'est possible
de toucher des centaines
et des milliers de personnes
et oui, c'est ça alors, oui.
Mais moi, c'est un peu la même chose,
puis je pense que c'est de vivre
à travers la danse surtout
et de voir comment
ça peut toucher à tout le monde,
puis on est beaucoup
plus ouvert maintenant je dirais,
puis le fait qu'on est ouvert
à toutes les communautés
et que tout le monde va avoir
l'opportunité de danser,
donc ça c'est mon rêve.
C'est qu'il n'y a plus de barrières.
Je vous le souhaite,
je vous souhaite collectivement, oui.
Merci.
Oui, de concrétiser les plus grands rêves,
les rêves les plus fous
que vous avez en tête déjà
et surtout ceux
que vous ne connaissez pas encore.
Oui, merci.