J'aimerais commencer par un avertissement.
Je sais que commencer comme cela
n'est peut-être pas une excellente idée,
mais je vais le faire quand même.
Voici mon avertissement : je suis ici
pour vous parler de communication,
mais je n'ai en réalité aucune formation
dans ce domaine,
et je n'ai jamais été
dans les relations publiques.
Ce que je suis,
c'est un anthropologue psychologique.
J'étudie la façon dont la culture
influence la manière dont on pense,
comment nous analysons les informations,
donnons du sens aux messages,
comment nous formulons les choses
et prenons des décisions.
En tant qu'anthropologue psychologique,
mon but aujourd’hui
est de vous convaincre, de vous montrer,
que ceci...
n'est pas vrai.
(Rires)
On ne devrait pas activement dissuader
nos amis et collègues
d"étudier l'anthropologie,
au contraire, étudier la culture et
comment les gens l'utilisent pour penser
est un outil incroyablement utile
dans le monde réel,
et, comme vous le verrez aujourd'hui,
ça peut être une chose incroyablement
importante et efficace
pour mieux communiquer.
Donc, en tant qu'anthropologue
qui travaille dans la communication,
j'étudie deux choses différentes.
Tout d'abord, j'étudie la pensée publique,
pas l'opinion publique,
pas la façon dont les gens répondent
à quelques questions dans un sondage,
ou leur attitude
dans des groupes de discussion
à Cleveland ou Kansas City -
Je viens de Cleveland,
je peux faire cette blague -
mais comment ils utilisent la culture
de façon profonde et très prévisible
pour penser à des sujets sociaux complexes
comme l'éducation ou la santé mentale,
l'immigration ou le vieillissement,
le changement climatique ou le racisme.
Je suis donc très enthousiaste
à l'idée de vous parler
de la façon dont la culture nous aide
à être des communicants plus efficaces.
La deuxième chose
dont je vais vous parler,
est comment, dans la façon dont nous
présentons l'information,
les gens peuvent s'ouvrir, et accéder
à des façons radicalement différentes
de penser, de se sentir, et d'agir
concernant ces sujets sociaux.
En un mot,
voici ce qu'est la formulation :
comment des variations
dans la présentation d'informations
peut entraîner des perceptions et
des comportements totalement différents.
Et donc, je suis très, très, très
- pourquoi pas? -
très excité à l'idée de pouvoir
m'emballer aujourd'hui sur la formulation.
Et je vous le dis dès le départ,
m'emballer sur la formulation
n'est pas loin d'être
ma chose préférée au monde,
ce qui est, je le reconnais,
assez pathétique et même triste.
Mais ça veut dire qu'il y aura au moins
une personne dans cette salle
qui s'amusera pendant cette présentation.
(Rires)
Ce sera moi, je vais m'amuser.
Ce que je veux faire aujourd'hui
est vous convaincre, vous démontrer
que même si vous ne vous identifiez pas
en ces termes,
et n'êtes pas clairement conscients
de cela, vous êtes tous des communicants.
En tant que communicants,
la formulation vous importe grandement.
Voici donc deux raisons pour lesquelles
la formulation est importante pour vous.
La première raison est, malheureusement,
je suis dans une situation
où je dois vous dire
que vous avez tous un problème.
Il n'y a pas 11 étapes qui suivent,
ce n'est pas ce genre de réunion,
et ce n'est pas ce genre de problème.
En fait, vous avez
un problème de communication.
Vous avez un problème de perception.
Et le problème ressemble à ceci :
Vous avez tous été dans une situation,
à un moment donné,
où vous pensiez avoir la façon
la plus parfaite,
la plus géniale, gagnée d'avance -
utilisez la métaphore que vous voulez -
pour parler de votre travail,
et en quoi il est important.
Ça fonctionne avec
vos collègues les plus proches,
pourquoi ça raterait au moment
d'en parler à des gens normaux,
des gens qui ne baignent pas
dans votre domaine du matin au soir ?
Quand cette idée qui était
tellement logique pour vous
sort de votre cercle immédiat,
vous réalisez deux choses :
tout d'abord, elle manque de résonance.
Elle n'accroche pas, elle rentre
dans une oreille et ressort par l'autre.
Ensuite, et malheureusement
ça arrive plus souvent,
cette chose qui fonctionnait et était
tellement parfaite dans votre tête
est exprimée,
et crée l'effet opposé sur les personnes
que vous essayez de convaincre,
celles avec qui
vous essayez de communiquer.
Je ne vais pas vous demander
de me croire sur parole.
Je vais vous montrer des preuves issues
des recherches que je fais avec mon équipe
qui vous le prouveront.
Et j'ai de nombreux exemples,
des preuves,
du « vous dites - ils pensent »,
cet effet de perte dans la traduction.
Je vais vous en montrer un qui provient
d'un travail que nous avons fait
pour traduire la science du développement
dans la petite enfance.
Les personnes dans ce domaine,
les spécialistes du développement,
souhaitent vraiment parler
de l'adversité et du stress,
et des effets qu'ils peuvent avoir
sur les jeunes enfants.
Ils disent donc des choses comme ça :
un stress permanent
agit sur le développement
et cause des problèmes persistants
de santé et de bien-être.
En tant que spécialiste du développement,
vous remplacez négatif par délétère
parce que c'est ainsi que vous parlez.
Donc, pour les personnes dans ce domaine,
c'est vrai.
Il y a un corpus scientifique
incroyablement dense
et interdisciplinaire
qui confirme ce point.
Malheureusement, quand vous tentez
de transmettre cette idée
à des gens normaux,
à des membres du grand public,
vous obtenez des choses
qui ressemblent à ça :
La vie est dure.
C'est comme ça.
Ce qui ne vous tue pas
vous rend plus fort, vous voyez ?
Tous les clichés
auxquels vous pouvez penser.
Il y a des gens qui sont partis de rien
et qui ont réussi,
et ont obtenu du succès
aux yeux de la société.
Pour être parfaitement clair,
ce que vous venez d'entendre
n'était pas l'effet souhaité
quand l'expert a ouvert sa bouche
pour délivrer le message.
Je n'essaye pas de dire
que notre ami Nietzsche, ici,
avec « ce qui ne vous tue pas
vous rend plus fort » -
public intelligent, c'est bien -
je ne dis pas qu'il a tort
ou qu'il est stupide.
Mais il se passe clairement
quelque chose, là,
il y a une réelle différence
entre l'intention,
la transmission du message,
et sa réelle perception,
l'effet donné.
Vous devriez tous avoir une idée
de ce que c'est,
d'après la façon dont je me suis présenté
comme anthropologue.
Ce qui se dresse entre le « vous-dites »
et le « ils-pensent » est...
la culture.
Pas une culture externe de type
artefact d'Indiana Jones,
mais plutôt une culture intériorisée,
une collection de modèles de pensée
communs,
une collection de suppositions
et de propositions que nous avons en tête
et avec lesquelles nous vivons,
et que nous utilisons à chaque fois
qu'on nous présente une information,
à chaque fois que l'on s'implique
dans un sujet.
Ce que cela provoque,
cette prise de conscience que la culture
modifie en permanence notre message
et complique notre travail
en tant que communicants -
c'est l'un de ces paradoxes,
une chose à la fois évidente
et qui change la donne -
cela nous permet
de regarder différemment
la manière utilisée jusqu'à présent
de considérer la compréhension du public
et la communication.
Pendant longtemps,
et encore de nos jours,
les gens ont considéré le public
de cette manière :
un réceptacle vide, une page blanche,
un aquarium vide,
et ont pensé que nous, communicants,
étions notre propre public.
On a donc pris
ce qui nous semblait si évident,
et l'avons littéralement mis
dans cet espace libre
pour le laisser faire son travail.
Nous savons, d'après ce que je vous ai dit
sur la culture,
que, d'une part, ce n'est pas correct,
et que ce n'est pas une manière productive
de réfléchir à la communication.
À la place,
on doit savoir que la culture complique
toujours notre travail de communicants,
et si on peut aller un cran plus loin,
pour savoir comment les gens utilisent
la culture pour réfléchir à nos causes,
on peut devenir nettement plus efficaces
dans nos rôles de messagers,
dans nos rôles de communicants.
La seconde raison pour laquelle
la formulation est importante pour vous,
est parce que la compréhension
d'un message dépend de sa formulation.
C'est un vague jargon pour dire
que les choix que vous faites
dans votre communication sont importants.
Les petites choses :
les pronoms utilisés, les verbes choisis ;
et les grandes choses,
les valeurs utilisées pour expliquer
l'importance de votre cause ;
ces choses sont importantes.
Ces choses
ont souvent un impact spectaculaire
sur ce que les gens sont prêts à faire,
sur leur volonté d'agir
et de s'impliquer dans vos causes.
Ne me croyez pas sur parole.
Je vais vous donner un exemple rapide
pour vous montrer
l'importance de la formulation.
Cet exemple
ne provient pas des États-Unis,
mais de la province canadienne d'Alberta.
Rapide leçon de géographie,
Alberta est l'une des provinces
grandes et maigres au milieu du pays.
C'est tout ce qu'il faut savoir -
il y fait froid - pour cet exemple.
Il y a donc un groupe d'experts
et de militants en Alberta
qui veulent changer les politiques
et les pratiques relatives à l'addiction.
Ils veulent utiliser
le savoir scientifique
pour créer de meilleures
politiques et pratiques sur l'addiction
dans cette province.
Ils ont beaucoup de mal
à mener cette action.
Beaucoup de leurs problèmes
viennent du fait
qu'il n'y a aucun soutien
pour changer les choses
sur l'addiction dans cette province.
C'est pour ça qu'ils sont venus
nous demander une étude
pour comprendre comment intéresser
le grand public plus efficacement,
accroître la compréhension,
et surtout, augmenter le soutien pour des
politiques fondées sur des faits avérés.
En tant que blaireaux
et geeks de la formulation,
on a fait ce qu'on devait faire,
on a mené une expérience.
Dans cette expérience, nous avons testé
trois messages de valeurs différents.
Les messages de valeurs se trouvent sur
l'axe horizontal du graphique
que vous voyez ici.
Des personnes -
c'est une grande expérience,
6 000 personnes, ce qui n'est pas
la population totale de l'Alberta,
c'est un échantillon représentatif,
mais non exhaustif.
On adresse au hasard un des trois messages
à chacune de ces 6 000 personnes.
Certains ont eu la valeur
de l'interdépendance,
ce qui, ici, est la notion
que nous devons mieux nous occuper
de l'addiction dans cette province
car nous sommes tous liés :
ce qui influence l'un d'entre nous
nous influence tous.
D'autres ont eu la valeur
de l'ingéniosité,
c'est une valeur d'innovation, nous sommes
une province qui résout les problèmes -
il faut balancer son bras
en disant ça -
on a toujours réussi
à résoudre les problèmes
grâce au courage albertain
et au retroussage de manches -
c'était mon accent albertain,
très important.
Le dernier groupe, mais non des moindres,
a eu la valeur de l'empathie,
ce qui est la notion
que nous devons faire mieux
pour nous occuper
de l'addiction
car les gens avec ce problème
sont aussi des personnes.
Ils pourraient être notre mère, frère,
père, sœur, voisin, n'importe qui,
et en tant qu'individus, nous devons
faire preuve de compassion.
Ce que vous allez voir au prochain clic,
c'est trois magnifiques barres bleues
qui vont apparaître à l'écran,
et ce que ces barres bleues
vont vous montrer
est combien le fait d'entendre
ces différentes valeurs
change le soutien apporté à ces politiques
fondées sur des faits avérés.
Peut-on avoir
un roulement de tambour ?
S'il vous plaît, lancez-le, merci.
(Roulement de tambour)
Vous devriez donc voir trois barres bleues
et remarquer deux choses.
D'une part, deux de ces valeurs,
l'interdépendance et l'ingéniosité,
rendent les gens, significativement,
plus ouverts à ces politiques
fondées sur des faits avérés.
C'est une bonne nouvelle
quand on fait des expériences
et qu'on obtient de tels résultats,
on se lève, on fait une petite danse -
je ne vais pas la faire, rassurez-vous -
on se rassoit et on regarde la colonne
à droite de l'écran.
La valeur de l'empathie
fait baisser le soutien des gens
pour ces politiques.
Le hic,
c'est que dans une analyse ultérieure,
où on a regardé les données que le secteur
avait utilisé dans ses campagnes
devinez quelle valeur était présente
plus de 90% du temps ?
L'empathie.
Merci. C'était pas rhétorique.
Le secteur a donc, pendant très longtemps,
promu une valeur
qui fait en réalité baisser le soutien
pour les politiques qu'ils préconisent.
Cet exemple agit donc sur deux points :
il montre que la compréhension dépend
de la formulation, qui est importante.
Il montre aussi que ces questions,
quelles valeurs utiliser,
comment communiquer,
sont empiriques.
Pas besoin d'improviser, il suffit
d'utiliser les sciences sociales.
Je trouve ça assez cool
qu'une formulation modifie l'attitude
des gens et leur soutien à des causes,
mais que dire de la pensée
plus intrinsèque, inconsciente ?
Que dire des préjugés implicites ?
Est-ce qu'une formulation particulière
peut diminuer les préjugés
contre des groupes spécifiques ?
On a décidé de répondre à cette question
avec un projet sur le vieillissement
dans lequel on était intéressé
par cette question :
une reformulation peut-elle diminuer les
préjugés contre les adultes plus âgés ?
On a découvert deux choses.
Premièrement, les Américains n'aiment pas
les personnes âgées.
Les Américains âgés
n'aiment pas les personnes âgées.
(Rires)
Il y a un haut degré
de préjugés,
et c'est un niveau
comparable aux autres préjugés étudiés,
que ce soit le genre, la religion,
la sexualité, la race ;
ce n'est pas une bonne nouvelle,
pas une bonne découverte.
Mais ça le devient
quand vous voyez ce qui se passe
quand on donne aux gens un message
qui compare le vieillissement
à un phénomène de montée en puissance.
Quand on a fait ça,
on a vu qu'on pouvait réduire les préjugés
de presque un tiers.
Une simple reformulation,
a pu diminuer l'âgisme chez les gens
à un niveau implicite.
Vous pouvez voir que je trouve ça cool,
et c'est une preuve
que la formulation est importante,
et c'est aussi une preuve que
la compréhension dépend de la formulation.
Je voudrais vous quitter
avec l'une de mes citations préférées.
Elle est du philosophe autrichien
Ivan Illich,
il dit que « ni la révolution
ni la réformation
ne peuvent changer une société, à la place
vous devez énoncer un récit plus puissant,
un récit si convaincant qu'il balaye
les anciens mythes
et devient l'histoire officielle. »
Si nous voulons du changement social,
nous devons développer, tester,
et s'engager
à raconter de nouvelles histoires.
Sur ce, je vous remercie
et vous encourage à formuler.
(Applaudissements)