Jacques Verduin : Merci. Mon père fut prisonnier. Plus précisément, mon père fut prisonnier de guerre. C'était un jeune homme de 18 ans qui vivait aux Pays-Bas pendant la Deuxième guerre mondiale. On l'a kidnappé et déporté loin en Allemagne pour faire du travail forcé. Il a beaucoup souffert mais il a survécu. Enfants, nous l'entendions hurler dans son sommeil alors qu'il luttait contre ses traumatismes. Au moment de la chute du mur de Berlin, il a souhaité retourner en Allemagne : trouver ses ravisseurs, retourner là pour soigner ses blessures et trouver la paix. C'est ce qu'il a fait. Il a pu retrouver certains de ses ravisseurs, des soldats survivants. Ils se sont assis en cercle, ils se sont assis dans un salon. Les douleurs ont été prononcées. Les vérités sur ces douleurs furent exprimées. Des besoins furent exprimés. Des pardons furent accordés. Des excuses furent présentées et acceptées. De retour, mon père était un homme radicalement transformé. Cela fait 20 ans que je suis ici. Mais je rentre à la maison le soir. Néanmoins, je me trouve assis parmi un cercle d'hommes qui tentent de se réconcilier avec leur passé. Durant ces 20 années, nous avons créé un projet, un programme standard de responsabilité des agresseurs nommé GRIP : Guider la Rage en Force. L'objectif principal de ce programme est de quitter la prison avant d'être libéré. C'est possible. Si vous vivez librement, vous devez quand même avoir quelques indices sur la vie dedans, non ? Donc, presque 25 % de nos diplômés sont libres, ils ont été libérés. Aucun n'est de retour au bout de quatre ans. (Applaudissements) C'est un résultat extraordinaire étant donné les 64 % de récidive en Californie. Donc, avec peu d'investissements, nous épargnons des millions de dollars. Avec un peu plus de budget, nous en épargnerions des centaines, nous améliorerions la sécurité civile et préviendrions la revictimisation. Qu'est-ce qu'on attend alors ? Il n'y a pas que nos programmes. Il y a de nombreux très bons programmes à San Quentin. Je pense que pour vous tous, on peut légitimement penser que vous êtes conscients qu'il s'agit d'une des expérience sociales les plus uniques et les moins connues de notre époque et ça s'appelle : le centre carcéral de San Quentin. (Applaudissements) Cet endroit, tout du moins, certaines parties, ont été transformées en université de réhabilitation, en pépinière. Des communautés s'y sont installées et construit des phares qui brillent. Ils pensent être des vigies, mais en fait, ce sont des gardiens des phares qui illuminent nos communautés. Des hommes retournent dans ces communautés ils ont quelque chose à rendre à ceux à qui ils ont volé. Où en sommes-nous arrivés ? La violence est incrustée dans notre société, mais à quel point ? Inutile de vous rappeler les centaines de tueries en milieu scolaire depuis Sandy Hook. Inutile d'évoquer les luttes raciales en Amérique aujourd'hui même. Ne pensons même pas aux divisions religieuses. Ces hommes ont quelque chose à rendre. Ce sont des agents du changement. On est à TED, n'est-ce pas ? Des innovations incroyables sont issues de TED, en médecine, en pédagogie, en design... Mais nos institutions carcérales sont très en retard par rapport à ça. Nous pensons que l'heure est venue de repenser ce qu'est la prison. Manifestement, nous pensons qu'elle peut devenir un épicentre du changement, une ressource pour la communauté et qu'elle peut lui rendre quelque chose plutôt que de déverser des gens en liberté conditionnelle dans la rue. Ceci est un appel au rassemblement pour agir avec enthousiasme et revisiter l'architecture de nos prisons. Vous êtes partants ? (Cris) (Applaudissements) Réformer la prison - il ne faut pas limiter le débat à libérer davantage de personnes, nous devons y inclure comment ils sont libérés. 95 % des personnes libérées deviendront le voisin de quelqu'un. Quel voisin souhaitez-vous ? Nous pensons que nous avons développé une technologie pour transformer souffrance et violence en enseignement et guérison. Voilà. Mettons ça en pratique. Pour conclure, une citation, d'un de nos étudiants. Cette citation, en fait, c'est huit mots, rien de plus, qui décrivent très bien le programme que nous organisons. « Tu sais, j'ai appris chez GRIP que ceux qui souffrent font souffrir. Que j'ai déchaîné la douleur que je ressentais sans savoir quoi en faire. » Il a ajouté : « Et j'ai appris que ceux qui sont guéris guérissent les autres. Que dans la mesure où je reprise mes fêlures, je peux agir pour aider les autres à faire pareil. C'est la seule leçon que j'avais besoin d'apprendre. » Si vous, dans le public, ou vous, à la maison, qui m'écoutez, avez jamais été blessé par un acte de violence, ce poème vous est dédié. Écoutez-le attentivement, imprégnez-vous en. Je vous présente Fateen Jackson. (Applaudissements) (Encouragements) Fateen Jackson : On dit qu'on prend la mesure d'un homme selon sa capacité à faire front à l'adversité. Mais pour cet homme, on prend sa mesure selon sa capacité à faire front à sa propre authenticité. À accepter ses vulnérabilités, à prendre ses responsabilités avec honnêteté, pour toutes les activités violentes de son passé. Telle est la mesure d'un être humain digne quand il peut sortir clean et reconnaître qu'il puisse avoir fait d'un innocent une victime avec ou sans intention criminelle, et lui demander pardon. Peu importe qu'un seul se soit perdu en chemin, ou qu'un seul croit justifié, par orgueil, de faire payer un autre. Ce n'était pas OK. Nous aurions dû voir qu'il y avait un autre chemin. Donc, aujourd'hui, je prie que je puisse sauver les vies devenues les victimes dans les mains d'esprits violents comme le mien, les aider à guérir et survivre. Je commencerai en présentant mes excuses sincères. Je demande pardon pour l'affliction que vous avez ressentie hier, la confusion que vous ressentez maintenant et celle que vous ressentirez demain. Je vous demande pardon pour la douleur lancinante, le vide qui subsiste. Je vous demande pardon pour le déshonneur de votre nom, en vous rendant responsable. Je vous demande pardon pour ma dissonance cognitive qui est à la source de mon propre enfermement psychologique, qui a amplifié ma sensation fausse d'égoïsme narcissique. Je vous demande pardon pour l'insécurité que je vous ai fait ressentir, sans jamais essayer de créer un monde meilleur. Je vous demande pardon pour tous ceux qui vous ont été violents avec vous, fût-elle accidentelle ou intentionnelle, physique ou émotionnelle. Je me sens responsable car moi aussi, j'ai commis des actes de violence contre des personnes comme vous, charognard actif dans une culture de violence. Et si ceux qui vous blessent ne le disent pas, je le ferai, car c'est ce que je ressens, mû par l'espoir de la compassion que vous pourrez guérir. Aujourd'hui, je peux affirmer que je ne suis plus dans le déni, ce qui fut le cas pendant un certain temps. Je suis prêt à faire ce qu'il faut pour aider ceux que j'ai blessés à retrouver un réel sourire, à vous remonter le moral quand le désespoir vous écrasera, à apaiser vos craintes et à respecter vos larmes, à partager mon repentir qui change ma trajectoire de vie car je me fais du souci. Oui, je me soucie de votre bien-être. Ce n'est que justice de partager avec vous ce nouvel homme en moi, qui cherche à se reconnecter avec la morale et son humanité. Car pour moi, cette partie de la dette que je dois à tous dans la société, principalement vous, votre famille et ma famille. À tous les survivants, je forme le vœu que vous acceptiez mes excuses sincères alors que je lutte contre ma propre victimologie. Vos blessures et vos traumatismes font partie de moi pour toujours, et plus jamais je n'agirais violemment et sans pitié. Enfin, et c'est le plus vital, je dédie ceci à vous, à vous tous, les survivants puissants, vous faites partie de ma restitution, d'inclure un hommage aux êtres résilients que vous êtes. Je vous rends honneur de ne pas avoir permis à votre douleur de détruire votre foi dans la décence humaine et dans votre paix intérieure. Je vous salue pour avoir enduré courageusement, pour être resté déterminé à vaincre vos traumatismes avec bravoure. Je vous salue pour avoir gardé ouvertes les portes de votre cœur et du pardon. Je vous salue pour avoir combattu pour dépasser, pour ne pas permettre à cette attaque de vous freiner, parce que vous avez décidé d'être fort, de tourner la page et de vivre. Et à toutes ces âmes magnifiques qui sont parties dans un endroit meilleur, qui sont accueillies dans la grâce de l'amour de Dieu, je rends honneur à votre esprit. Je vous salue en prière afin que Dieu vous laisse m'entendre. Vos noms resteront dans le cœur et l'esprit des personnes chères qui sont restées ici. C'est ainsi et pour cela que vous survivez. Et de la douleur et de la peine d'être abattu, je vous promets que votre mort ne sera pas vaine. Voilà pourquoi, je vous honore pareillement. Sachez que j'honore vos noms, les trésors précieux de la vie. Alors, dans mon élan pour vous montrer ma vraie mesure d'être humain décent, pour en ressortir clean, pour ma rédemption et notre réunion, pour rendre la vie plus attachante, pacifique et meilleure. Car avec ce geste, je vois à présent le mot victime différemment. Il signifie pour moi les vainqueurs des traumatismes, des maîtres incroyables de la survie. Cela suffit amplement pour vous admirer. Voilà pourquoi je vous exalte et je vous salue. (Applaudissements) (Encouragements) [TEDxSanQuentin est une production de San Quentin Media Center.] [Cet événement a été produit, filmé et édité par des spécialistes en détention]