(Applaudissements)
En 2050, nous serons
10 milliards sur Terre.
10 milliards d'habitants
qu'il faudra bien nourrir.
10 milliards à vivre
sur les ressources d'une planète
qui n'est déjà pas capable de produire
durablement pour les 7 milliards actuels.
Ou en tout cas, pas de la façon
dont nous l'exploitons.
Pour vivre, on a besoin de nourriture,
on est tous d'accord avec ça
et en particulier de protéines.
Les ressources sauvages étant limitées
et parfois difficilement atteignables,
on pratique l'élevage :
cochons, poulets, poissons.
Mais pour produire 1 kilo
de poissons d'élevage,
il faut le nourrir avec 5 kilos
de poissons sauvages.
Conséquence : les stocks
de poissons s'effondrent.
Pareil avec le poulet,
que l'on nourrit avec du soja.
Plus on consomme du poulet
et plus on a besoin de soja.
Et pour cultiver d'avantage de soja,
on déforeste, notamment l'Amazonie.
Ce sont des écosystèmes entiers
que nous détruisons
dans le but de produire
plus de nourriture.
Et paradoxalement,
nous ne consommons pas
tout ce que nous produisons.
Un tiers de la nourriture
que l'on produit
ne sera jamais consommée
par l'être humain.
Un tiers.
Notre planète s'épuise
à produire du déchet.
Alors, pourquoi je vous raconte tout ça ?
Mon frère s'est marié cet été.
Il m'a fait l'honneur
de me choisir comme témoin.
Alors le jour du mariage, devant ses
proches, devant Monsieur le Maire,
à la lecture de l'acte du mariage,
on nomme les témoins et leur profession.
Raphaël Smia, éleveur de mouches.
Oui, je suis éleveur de mouches.
Alors plus précisément,
je fais de la valorisation
de biodéchets par l'insecte,
dans le but de produire
protéines et lipides
pour l'alimentation animale
et la chimie verte.
OK, je vous ai perdus.
Concrètement, on récupère
des bio-déchets.
La pomme abîmée du supermarché
ou les restes alimentaires
d'un restaurant.
On récupère tout ça, on le broie,
on le mélange,
on le place dans nos bio-réacteurs
avec des larves d'insectes.
Nos larves adorent les déchets
et les matières en décomposition,
chacun son truc.
Elles vont manger, grandir, grossir
et lorsqu'elles auront accumulé
suffisamment de protéines et de graisses,
on les destine à l'alimentation animale.
Naturellement, un poulet ne mange pas
du soja OGM cultivé en Amérique du Sud.
Non, il mange des insectes.
Pareil pour les poissons.
Pourtant, c'est le schéma
que l'on nous propose actuellement.
On cultive des céréales que l'on donne
à manger à nos animaux d'élevage,
on récupère tout ça,
on fait de la nourriture,
on le mange ou on le jette.
L'élevage d'insectes
va permettre de récupérer
les nutriments encore
dans ces déchets
et de les réinsérer dans le
cycle alimentaire humain.
D'un schéma linéaire, on va passer
à une économie circulaire.
Alors,
qui est ce super héros du recyclage ?
Je vous présente, la Black Soldier Fly
ou mouche soldat noir.
Comme quoi,
la France n'est pas un pays
de mouches de race blanche.
(Rires)
(Applaudissements)
Alors petit cours rapide sur les mouches !
Une mouche pond des œufs.
De ces œufs vont éclore une larve.
Quand il y en a une, ça va,
c'est quand il y en a plusieurs
qu'il y a des problèmes !
Ces larves vont manger
et lorsqu'elles auront suffisamment mangé,
elles vont devenir une pupe.
La pupe, c'est le cocon de la mouche
en quelque sorte.
Et de cette pupe,
au bout de quelques semaines,
va sortir une nouvelle mouche.
Et cette mouche est
un animal d'élevage idéal.
Tout d'abord, il est inoffensif.
Il ne pique pas, il ne mord pas,
il ne transmet pas de maladie.
En fait, la mouche adulte
ne se nourrit même pas.
Elle ne fait que boire
et chercher à s'accoupler.
Un peu comme si vous passiez
votre vie entière en boîte de nuit.
(Rires)
Et puisqu'elle ne se nourrit pas,
elle ne va pas passer de notre poubelle à
notre assiette en transmettant des germes.
Et puis,
elle existe à l'état naturel en France.
On ne risque pas un désastre écologique
comme avec la coccinelle chinoise.
Enfin et surtout,
la larve de cette mouche
est détritivore.
Elle est capable
de manger et de traiter
une grande variété de déchets.
Elle-même n'en produira aucun.
Même ses excréments peuvent être
utilisés comme fertilisant.
Bon, vous l'avez compris,
ma mouche est parfaite !
Il ne restait plus qu'à la domestiquer !
C'est ce que nous avons entrepris avec
mon associé, Jean-François Kleinfinger.
Nous avons construit
notre premier laboratoire
en Loire Atlantique, dans une étable.
Nous y avons construit
une enceinte climatique.
Alors une enceinte climatique, c'est
une chambre complètement hermétique
où on contrôle la température, l'humidité,
et tout ça, là dedans.
Je peux vous dire que pour moi
qui avait du mal
à monter un meuble IKEA,
c'était déjà un beau challenge.
On reçoit nos premières larves,
on les nourrit
et on attend avec impatience
la première mouche.
Et la voici !
Notre première mouche
du laboratoire NextAlim.
Alors, je dois vous dire que ma famille,
mes proches,
ils émettaient quelques doutes,
notamment ma grand-mère,
qui me demandait
quand j'allais
chercher un vrai métier.
Et je peux les comprendre.
Je faisais les poubelles
des supermarchés.
Je passais mon temps à regarder
et à attendre impatiemment
que des mouches copulent.
Et je plaçais des larves
dans des situations particulières
pour voir comment elles allaient réagir.
Par exemple, la larve de ma mouche
a une particularité.
Lorsqu'elles ont fini de manger,
elles vont migrer
en dehors de leur substrat,
de leur nourriture.
Ça a ses avantages et ses inconvénients.
Avantage, il n'y a pas besoin de trier
les larves une à une pour les récupérer,
c'est plutôt bien.
L'inconvénient, c'est quand elles migrent
et qu'on ne s'y attend pas.
C'est ce qui s'est passé
avec notre première génération.
Nous leur avions construit des bacs
avec des rampes
pour faciliter leur migration.
Les rampes avaient un angle exact
de 45° avec le sol,
comme le disait la littérature.
Vous imaginez un peu
notre tête, le lendemain,
lorsqu'on retrouve
le laboratoire jonché de larves
qui avaient eu la bonne idée
de passer par les parois verticales
plutôt que par nos rampes.
Mais bon, la colonie progresse.
On en vient même à vouloir optimiser,
notamment le nombre
d'accouplements, de pontes,
Pour ça, on joue
sur différents paramètres :
la lumière,
la température,
et un petit peu de musique.
♪ Barry White -
My first, My Last, My Everything ♪
Non sérieusement,
la musique fonctionne vraiment
aussi avec les mouches !
(Rires)
Cette domestication, nous l'avons réussie
et fort de cette expérience,
nous avons pu faire une levée de fond
auprès de partenaires privés
mais aussi
de partenaires publics
qui ont soutenu le projet à hauteur
de plusieurs millions d'euros.
Avec cet argent, nous avons pu
construire un laboratoire un peu plus pro,
mener des expériences plus rigoureuses,
et surtout établir le process
et dresser les plans
de la première usine
d'entomoculture industrielle.
En 2017,
nous serons capables de traiter
13 000 tonnes de biodéchets,
de produire 4 000 tonnes de larves par an.
Alors, 4 000 tonnes de larves,
c'est à peu près
vingt milliards de ça.
Et tout ça, avec une seule usine !
Mais ce n'est pas tout.
Des biodéchets,
il y en a partout en France.
Nous allons nous placer au plus près
des producteurs de biodéchets
pour pouvoir produire
de la protéine locale.
Mais pas seulement de la protéine.
Avec une tonne de biodéchets,
nous sommes capables
de faire aussi 300 kg de fertilisant.
75 litres
de biocarburant.
Le plein d'une voiture.
Dans 10 ans,
c'est 50%
des farines de poissons
que nous serons capables de remplacer.
Alors,
l'élevage d'insectes
n'est pas la panacée
pour sauver la planète
et stopper la fin dans le monde.
Mais pour une société
plus durable et plus saine,
chaque petit pas compte.
Fusse-t-il de mouche.
(Applaudissements)