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Croyons-nous encore à l'amour ? | Les idées larges | ARTE

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    On entend souvent qu'il faut
    se méfier des contes de fées.
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    Ces dessins animés nous ont fait
    croire au myth du prince charmant
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    qui viendrait un jour
    nous apporter le bonheur.
  • 0:20 - 0:23
    Je trouve ça important de réfléchir
    à comment cet imaginaire a ancré
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    des clichés et conditionné nos attentes.
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    Mais si je suis honnête, je dois
    reconnaître que j'aime toujours autant
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    les comédies romantiques.
  • 0:30 - 0:32
    Eva Illouz est directrice
    d'études à EHESS.
  • 0:32 - 0:36
    Pour elle le sentiment amoureux est un
    objet d'étude sociologique intéressant
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    en tant que prisme pour comprendre
    les tensions et les contradictions
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    qui structurent nos identités modernes.
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    L'amour, ce sentiment irrationnel
    de fusion émotionnelle, peut-il survivre
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    dans une époque qui valorise
    la liberté et la rationalité?
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    La libération sexuelle, si chèrement
    acquise, compromet-elle la possibilité
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    de tisser des liens solides?
    Croyons-nous encore à l'amour?
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    Le grand amour...
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    Eva Illouz analyse dans ses ouvrages
    la transformation de la vie affective
  • 1:10 - 1:13
    dans la modernité occidentale.
    Pour ce faire, elle s'appuie
  • 1:13 - 1:16
    sur une grande variété de sources.
    Elle mène des entretiens avec des hommes
  • 1:16 - 1:20
    et des femmes, elle puise dans la culture
    populaire dans les séries comme "Sex and
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    the City", ou le best-seller
    "50 nuances de Grey".
  • 1:23 - 1:26
    Elle analyse aussi les œuvres
    de Jane Austin Flobert ou Stephan Zweig,
  • 1:26 - 1:28
    issu de la littérature romantique.
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    En quoi elle consiste
    cette "l'idéal romantique"?
  • 1:30 - 1:37
    Il s'agit d'un idéal hétérosexuel
    (entre un homme et une femme) dont tout
  • 1:37 - 1:46
    l'intérêt est précisément de poser
    qu'il y a un domaine de sentiments
  • 1:46 - 1:51
    qu'on doit cultiver, qu'on doit explorer,
    dont on doit faire l'expérience
  • 1:51 - 1:55
    en dehors d'un cadre institutionnel
    (du mariage).
  • 1:55 - 1:58
    Donc, si vous voulez, il y a des
    éléments, quelques éléments
  • 1:58 - 2:07
    anti-institutionels, anti-marriage,
    dans l'idée romantique, apparement
  • 2:07 - 2:11
    Roméo et Juliette.
    Ceci dit, avec une transformation
  • 2:11 - 2:17
    qui est que ce qu'on appelle
    l'idéal de la famille bourgeoise
  • 2:17 - 2:23
    va progressivement intégrer cette idée
    de l'amour romantique qui jusque là était
  • 2:23 - 2:28
    extrinsèque véritablement au mariage
    et donc on a une sorte de domestication
  • 2:28 - 2:33
    de l'idée de l'amour qui
    devient institutionnalisé.
  • 2:35 - 2:39
    L'idéal romantique de l'amour a donc été
    progressivement intégré dans le cadre
  • 2:39 - 2:42
    de la famille bourgeoise avec la
    généralisation du mariage d'amour
  • 2:42 - 2:43
    au cours du 19e siècle.
  • 2:43 - 2:50
    Alors, si je devais définir maintenant
    qu'est-ce que c'est la forme idéale
  • 2:50 - 2:57
    typique de l'amour, je dirais qu'elle
    est souvent copiée de l'amour
  • 2:57 - 3:00
    qu'on a pour Dieu.
  • 3:01 - 3:06
    D'ailleurs, c'est pas tellement étonnant
    puisque l'idéal séculaire de l'amour
  • 3:06 - 3:10
    se formule dans une culture qui
    est profondément chrétienne.
  • 3:10 - 3:16
    D'abord le caractère absolu de l'amour,
    ce qu'on appelle "amour romantique",
  • 3:16 - 3:22
    ce caractère absolu rappelle
    effectivement l'amour de du croyant
  • 3:22 - 3:26
    pour son Dieu, l'amour exclusif.
    Il s'agit d'un amour exclusif.
  • 3:26 - 3:28
    Là encore on se souvient
    que Dieu est jaloux.
  • 3:28 - 3:32
    Il n'admet pas d'autres divinités.
    C'est un sentiment qui est total aussi,
  • 3:32 - 3:39
    qui envahit tout l'être et c'est pour ça
    qu'on va privilégier aussi le coup
  • 3:39 - 3:40
    de foudre.
  • 3:40 - 3:46
    C'est quelque chose qui est n'est pas
    rationnel et je dirais que la dernière
  • 3:46 - 3:51
    chose qui caractérise cet amour
    c'est qu'on est prêt à souffrir
  • 3:51 - 3:53
    jusqu'à la mort.
  • 3:53 - 3:57
    C'est ce qui va faire dire à des gens
    comme Denis de Rougemont
  • 3:57 - 4:01
    qu'il y a une affinité secrète
    entre la mort et l'amour.
  • 4:15 - 4:19
    L'idéal romantique d'un amour spontané
    et inconditionnel perdure, mais il est
  • 4:19 - 4:23
    traversé par ce qu'Eva Illouz appelle
    "la grande transformation de l'amour".
  • 4:23 - 4:26
    La grande transformation c'est
    quelque chose qui se produit
  • 4:26 - 4:28
    -je dirais- après les années 60.
  • 4:28 - 4:30
    -D'accord.
    -C'est seulement après les années
  • 4:30 - 4:38
    60 au 20e siècle, que les relations
    sexuelles et amoureuses deviennent
  • 4:38 - 4:41
    autotéliques.
    C'est-à-dire que ça devient un système
  • 4:41 - 4:49
    qui ne dépend plus ni du groupe social,
    ni de la famille, ni de la moralité.
  • 4:52 - 4:57
    Le deuxième élément qui donc est
    concomitant à cela c'est ce qu'on
  • 4:57 - 5:01
    appelle "le phénomène
    de la liberté sexuelle".
  • 5:01 - 5:06
    La liberté sexuelle, une autre façon
    de le dire, qu'on aimerait peut-être
  • 5:06 - 5:09
    un peu moins.
    C'est de parler de dérégulation
  • 5:09 - 5:12
    finalement de ces rapports amoureux.
  • 5:12 - 5:18
    Ça veut dire que les garçons et les
    filles, les hommes et les femmes, vont
  • 5:18 - 5:24
    se rencontrer comme sur un marché
    et alors, pour parler de façon crue,
  • 5:24 - 5:27
    je dirais qu'il y a une offre
    et il y a une demande et donc
  • 5:27 - 5:30
    c'est l'apparition de ce que
    j'ai développé dans un petit livre qui
  • 5:30 - 5:34
    s'appelle "Le capital sexuel",
    il y a des gens qui vont avoir beaucoup
  • 5:34 - 5:37
    de capital sexuel à proposer sur ce
    marché et d'autres qui vont en avoir
  • 5:37 - 5:40
    beaucoup moins.
    C'est à ça que Houellebecq faisait
  • 5:40 - 5:43
    référence dans "Extension du domaine
    de la lutte" quand il parlait de son
  • 5:43 - 5:49
    malheureux héros qui avait été en fait
    un perdant sur le marché sexuel
  • 5:49 - 5:53
    et c'est Houellebecq -à mon avis-
    qui avait le premier très bien vu
  • 5:53 - 5:58
    ce qu'il appelait ce
    "néolibéralisme de la sexualité".
  • 6:00 - 6:03
    Tout comme le libéralisme économique
    sans frein et pour des raisons
  • 6:03 - 6:07
    analogues, le libéralisme sexuel
    produisait des phénomènes
  • 6:07 - 6:10
    de paupérisation absolue.
  • 6:10 - 6:13
    Certains faisaient l'amour
    tous les jours,
  • 6:13 - 6:15
    d'autres 5 ou 6 fois dans leur vie
  • 6:15 - 6:18
    ou jamais.
  • 6:18 - 6:22
    Certains faisaient l'amour avec des
    dizaines de femmes, d'autres avec
  • 6:22 - 6:24
    aucune.
  • 6:24 - 6:26
    C'est ce qu'on appelle
    "la loi du marché".
  • 6:27 - 6:30
    Et le troisième élément qui est très
    important dans ce dans cette grande
  • 6:30 - 6:34
    transformation c'est que "qu'est-ce que
    ça veut dire la liberté sexuelle?"
  • 6:34 - 6:38
    Ça veut dire qu'il y a
    beaucoup plus d'échantillons
  • 6:38 - 6:42
    et je dirais le 4e changement
    c'est l'émergence de ce qu'on pourrait
  • 6:42 - 6:46
    appeler de "nouvelles formes
    biographiques" qui incluent
  • 6:46 - 6:50
    une "carrière sexuelle"
    ou une carrière romantique.
  • 6:50 - 6:55
    Donc il s'agit maintenant quelqu'un
    je dirais de 30 ans 35 ans a derrière
  • 6:55 - 6:58
    lui en général une sorte
    de carrière sexuelle.
  • 7:09 - 7:13
    Parmi les diverses facettes de cette
    grande transformation de l'amour il y a
  • 7:13 - 7:16
    le plus grand nombre d'échantillons de
    partenaires potentiels, donc l'extension
  • 7:16 - 7:19
    du choix.
    Pour Eva et Illouz, la notion de choix
  • 7:19 - 7:21
    est la marque de fabrique
    de notre époque.
  • 7:21 - 7:27
    Le choix est effectivement pour moi une
    notion centrale pour comprendre comment
  • 7:27 - 7:33
    se constitue l'individu, je dirais,
    au 20e siècle.
  • 7:33 - 7:36
    Pensons déjà par exemple à la démocratie.
  • 7:36 - 7:38
    Qu'est-ce que c'est une
    démocratie électorale?
  • 7:38 - 7:44
    C'est le fait qu'on donne aux citoyens
    la possibilité de choisir un candidat.
  • 7:44 - 7:50
    Dans le domaine économique à partir des
    années 20, une des grandes justifications
  • 7:50 - 7:56
    du capitalisme qui commence à produire
    de plus en plus de biens de consommation
  • 7:56 - 8:00
    c'est l'idée du choix.
    Si vous regardez le mouvement féministe,
  • 8:00 - 8:05
    il est très intéressant pour moi que,
    par exemple, aux États-Unis dans les
  • 8:05 - 8:11
    années 60 et 70 le mouvement féministe
    se définit comme un mouvement qui est
  • 8:11 - 8:17
    "pro choice", c'est-à-dire pour le choix.
    Donc je dirai que le choix est une façon
  • 8:17 - 8:22
    très particulière de comprendre cette
    notion philosophique, qui est plus large
  • 8:22 - 8:25
    que celle de liberté.
  • 8:25 - 8:29
    Mais ce que j'essaie précisément
    de montrer dans mon travail
  • 8:29 - 8:36
    c'est que en comprenant ou
    en instituant beaucoup de choix
  • 8:36 - 8:40
    dans des tas de domaines on ne rend
    pas du tout forcément les agents
  • 8:40 - 8:41
    plus libres.
  • 8:41 - 8:45
    La notion de choix est donc fondamentale,
    puisqu'on l'assimile à celle de liberté
  • 8:45 - 8:48
    et en amour on a de plus en plus
    tendance à envisager nos relations
  • 8:48 - 8:50
    en terme de bon ou de mauvais choix.
  • 9:05 - 9:08
    Non seulement on est objectivement face
    à un plus large choix de partenaires
  • 9:08 - 9:12
    possibles, mais notre manière subjective
    de faire un choix parmi eux a changé.
  • 9:12 - 9:16
    Il y a une expérience qui avait été faite
    par deux psychologues à l'université de
  • 9:16 - 9:19
    Chicago (psychologues cognitifs)
    que je trouve très intéressante
  • 9:19 - 9:20
    à ce titre là.
  • 9:20 - 9:22
    Ils mettent en scène
    deux façons d'acheter.
  • 9:22 - 9:25
    La première c'est ce qu'on appelle
    le "mode enchère".
  • 9:25 - 9:30
    C'est-à-dire qu'on vous présente
    un vase et on va vous demander combien
  • 9:30 - 9:32
    est-ce que vous êtes prêt
    à acheter ce vase.
  • 9:32 - 9:39
    Sur le mode enchère la pièce est unique.
    Elle n'est pas comparée à d'autres.
  • 9:39 - 9:42
    Ensuite il y a le mode...
    je ne sais plus exactement comment
  • 9:42 - 9:45
    ils l'appellent, mais je
    vais l'appeler "étagère".
  • 9:45 - 9:49
    Le mode étagère ça veut dire que ce vase
    est à côté de beaucoup de vases.
  • 9:49 - 9:55
    Il se trouve que dans le mode étagère
    on veut toujours payer moins.
  • 9:55 - 10:01
    On est prêt à payer plus dans le mode
    enchère, alors qu'il s'agit du même vase!
  • 10:01 - 10:04
    Sur la question du choix amoureux
    il n'y a pas de raison de présupposer
  • 10:04 - 10:06
    que c'est extrêmement différent.
  • 10:06 - 10:11
    Cette multiplication de choix entraîne
    une sorte de dévalorisation des autres
  • 10:11 - 10:15
    et non seulement une dévalorisation.
    C'est-à-dire les gens ont moins de
  • 10:15 - 10:22
    valeur, mais de façon aussi égale.
    C'est qu'on n'arrive pas à attribuer
  • 10:22 - 10:23
    une valeur.
  • 10:23 - 10:27
    On n'arrive pas à attribuer une valeur
    à l'autre, ce qui nous laisse souvent
  • 10:27 - 10:29
    dans un état de doute et
    potentiellement de paralysie.
  • 10:29 - 10:32
    On va avoir plus de mal à
    se lancer dans une relation.
  • 10:39 - 10:42
    Alors, on va parler
    des sites de rencontre.
  • 10:42 - 10:47
    Ça paraît assez évident que les applis
    accentuent tout ce que vous venez de
  • 10:47 - 10:50
    décrire: le côté marchandisation,
    le côté augmentation du choix,
  • 10:50 - 10:54
    la rationalisation aussi qu'on met
    en œuvre pour faire ses choix...
  • 10:54 - 10:57
    Donc, est-ce que c'est simplement
    une radicalisation de tout ce que vous
  • 10:57 - 11:00
    venez de décrire ou est-ce
    que on passe à autre chose?
  • 11:01 - 11:05
    C'est une très belle question.
    J'ai pensé qu'il s'agissait d'une
  • 11:05 - 11:07
    radicalisation.
  • 11:07 - 11:11
    Je pense aujourd'hui qu'il
    s'agit d'une transformation.
  • 11:11 - 11:15
    Alors, ce que se radicalise c'est
    par exemple la quantité des choix.
  • 11:15 - 11:19
    Ça prend vraiment la
    forme étagère/marché.
  • 11:19 - 11:24
    Donc, je dirais que avant les sites
    de rencontres on était dans la forme
  • 11:24 - 11:28
    enchère et là on est
    dans la forme étagère,
  • 11:28 - 11:32
    où plusieurs personnes sont mises
    à plat et sont en concurrence
  • 11:32 - 11:36
    finalement les unes avec les autres
    et où nous sommes nous-mêmes
  • 11:36 - 11:41
    en concurrence avec d'autres.
    Mais ça je crois que ça transforme
  • 11:41 - 11:45
    en fait la façon même
    dont on va choisir.
  • 11:45 - 11:49
    C'est-à-dire se poser sur quelqu'un.
    Ça va rendre beaucoup plus difficile
  • 11:49 - 11:52
    le choix.
  • 11:52 - 11:57
    Alors il y a deux difficultés je dirais
    dans le fait de faire un choix.
  • 11:58 - 12:02
    La première c'est que encore une fois
    il y a des expériences qui montrent
  • 12:02 - 12:06
    qu'on a tendance à maximiser le choix
    quand on a beaucoup de choix.
  • 12:07 - 12:10
    Eva Illouz fait ici référence aux travaux
    de l'économiste Herbert Simon,
  • 12:10 - 12:14
    qui a montré comment un nombre plus
    important d'options conduit au glissement
  • 12:14 - 12:17
    d'une stratégie privilégiant la
    satisfaction à une stratégie
  • 12:17 - 12:18
    de la maximisation.
  • 12:18 - 12:21
    C'est-à-dire qu'on se contente moins de
    l'option suffisamment bonne et on cherche
  • 12:21 - 12:24
    la meilleure option possible,
    ce qui veut dire aussi qu'on peut
  • 12:24 - 12:28
    constamment être en train de se demander
    si on a vraiment fait le bon choix,
  • 12:28 - 12:30
    si on ne pourrait pas trouver mieux.
  • 12:30 - 12:32
    La deuxième chose c'est que
    ça nous rend plus confus.
  • 12:32 - 12:36
    Là encore c'est ce que les psychologues
    cognitifs appellent
  • 12:36 - 12:41
    "information overload".
    C'est quand il y a trop d'information.
  • 12:41 - 12:43
    Quand on a trop de choix,
    on a trop d'information.
  • 12:43 - 12:46
    Quand on a trop d'information,
    on n'arrive plus très bien à savoir.
  • 12:46 - 12:49
    En plus, sur internet on peut
    aller chercher des informations
  • 12:49 - 12:51
    sur la personne.
    -Ouais, c'est ça.
  • 12:51 - 12:54
    Troisième chose enfin, j'avais dit deux
    mais là en fait il y en a trois,
  • 12:54 - 12:57
    c'est (mais c'est liée à la deuxième)
    c'est qu'en fait il y a vraiment
  • 12:57 - 13:02
    deux modes différents de choisir.
    Le mode face à face, c'est un mode
  • 13:02 - 13:06
    -je dirais- qui est intuitif.
    C'est un mode de connaissance
  • 13:06 - 13:11
    où on n' pas besoin de beaucoup
    de choses justement pour faire un choix
  • 13:11 - 13:16
    ou pour décider de notre attitude
    vis-à-vis de quelqu'un.
  • 13:16 - 13:19
    Typiquement quand on rencontre quelqu'un,
    même si on sait très peu de choses sur
  • 13:19 - 13:25
    eux, au bout de à peu près 3 minutes
    on a décider -consciemment
  • 13:25 - 13:28
    ou inconsciemment- si on
    les aime bien ou pas
  • 13:28 - 13:32
    et on fait ce choix donc sur la base
    de très peu d'information.
  • 13:32 - 13:37
    Le choix qu'on est sommé de faire sur
    Internet est très différent.
  • 13:37 - 13:41
    C'est un choix qui est rationnel
    et qui est basé sur une masse
  • 13:41 - 13:45
    d'information, alors que le sentiment
    amoureux c'est un sentiment qui se veut
  • 13:45 - 13:49
    être ineffable et irrationnel.
    Si vous voulez donc,
  • 13:49 - 13:53
    deux logiques incompatibles,
    qui se télescopent l'une dans l'autre.
  • 13:53 - 13:59
    On a l'illusion aussi qu'on sait
    ce qu'on veut, que on peut décire
  • 13:59 - 14:06
    la personne qu'on attend, mais en fait
    très souvent ce qui va nous bouleverser
  • 14:06 - 14:10
    chez quelqu'un c'est
    le coin d'un sourire.
  • 14:10 - 14:15
    C'est une façon de se tenir,
    c'est le timbre d'une voix.
  • 14:15 - 14:20
    Toutes ces choses-là ne sont
    pas du tout formalisables.
  • 14:20 - 14:22
    Je trouve ça intéressant,
    ce déclin du rôle de l'intuition
  • 14:22 - 14:25
    dans le désir amoureux.
    Traditionnellement l'attirance pour
  • 14:25 - 14:29
    quelqu'un mobilise souvent inconsciemment
    nos expériences et nos relations passées
  • 14:29 - 14:32
    et le fait qu'on dispose de peu
    d'information facilite une certaine
  • 14:32 - 14:34
    idéalisation de l'autre personne.
  • 14:34 - 14:37
    À l'inverse, sur les applis on a plus
    d'information, donc on soupèse
  • 14:37 - 14:39
    méthodiquement les mérites de la personne
  • 14:39 - 14:42
    et cette rationalisation participe
    d'un mouvement plus profond de notre
  • 14:42 - 14:46
    société qui a tendance à se méfier
    un peu du myth du grand amour,
  • 14:46 - 14:46
    à le déconstruire.
  • 14:46 - 14:50
    Eva Illouz emprunte au sociologue
    Max Weber le concept de désenchantement
  • 14:50 - 14:53
    pour parler de ce processus
    propre à la modernité.
  • 14:53 - 14:57
    Le désenchantement c'est le fait
    qu'on ne nous l'a fait plus.
  • 14:57 - 15:01
    C'est le fait qu'il devient très
    difficile de croire en quelque chose
  • 15:01 - 15:05
    parce que la science par exemple
    (mais pas seulement la science,
  • 15:05 - 15:13
    je dirais aussi la politique féministe)
    nous met en garde contre la croyance
  • 15:13 - 15:20
    irrationnal dans ce qui
    est devenu un grand mythe.
  • 15:21 - 15:24
    Pas seulement le féminisme
    et pas seulement la science
  • 15:24 - 15:25
    mais aussi la psychologie.
  • 15:25 - 15:28
    Là elle évoque rapidement plein
    de facteurs de désenchantement
  • 15:28 - 15:30
    très différents.
    Ça vaut le coup de revenir dessus.
  • 15:30 - 15:34
    D'abord, elle mentionne la science
    et là on pense par exemple aux théories
  • 15:34 - 15:38
    biologiques qui expliquent le sentiment
    amoureux par la présence dans le cerveau
  • 15:38 - 15:41
    de sérotonine ou d'xytocine.
    C'est sûr que ça tue un peu la magie.
  • 15:41 - 15:44
    Quand elle parle de l'influence
    des féministes, il s'agit -entre autres-
  • 15:44 - 15:48
    des analyses qui montrent comment
    l'idéalisation de l'amour romantique,
  • 15:48 - 15:51
    véhiculé notamment par les contes de fées
    at a pu servir à cantonner les femmes
  • 15:51 - 15:54
    à la sphère domestique et à masquer
    les inégalités de genre.
  • 15:57 - 16:00
    Et enfin Eva Illouz remarque que le
    développement de la culture psy nous
  • 16:00 - 16:03
    pousse aussi à suranalyser
    nos vies affectives.
  • 16:15 - 16:21
    En fait, si vous voulez, ce sont des
    formations culturelles qui nous invitent
  • 16:21 - 16:25
    constamment à ce que j'appelle
    "la réflexivité".
  • 16:25 - 16:31
    La réflexivité c'est le fait de ne pas
    prendre au sérieux ses intuitions,
  • 16:31 - 16:36
    ses pulsions ou bien du moins de les
    soupçonner d'autres choses et
  • 16:36 - 16:40
    c'est ce qui fait aussi qu'on va
    remettre en question les grands mythes
  • 16:40 - 16:46
    fondateurs de notre société
    en se réclamant d'une nouvelle forme
  • 16:46 - 16:49
    d'intelligence.
    Ensuite et puis je vais finir avec ça
  • 16:49 - 16:56
    je dirais que et le féminisme et les
    mouvements queer ont remis de plus en
  • 16:56 - 17:02
    plus en question l'idéal et le modèle
    exclusif de la relation.
  • 17:02 - 17:06
    Cet appel à la fluidité relationnelle
    c'est une remise en question aussi
  • 17:06 - 17:10
    du grand mythe de l'amour romantique.
  • 17:15 - 17:20
    Donc, pour résumer on pourrait dire que
    cet idéal romantique il nous travaille
  • 17:20 - 17:26
    encore on y aspire encore mais il est
    miné ou mis en difficulté par tout toutes
  • 17:26 - 17:29
    ces dimensions là de la modernité.
    On pourrait dire que il y a cette tension
  • 17:29 - 17:30
    permanente.
  • 17:30 - 17:33
    Oui, oui je je serai tout à fait d'accord
    avec cette formulation, merci.
  • 17:33 - 17:37
    J'avoue j'étais contente qu'Eva Illouz
    approuve mon résumé parce que je ne
  • 17:37 - 17:40
    trouve pas ça si simple.
    D'un côté, l'amour romantique continue
  • 17:40 - 17:43
    d'être une aspiration forte,
    de l'autre côté plein de facteurs
  • 17:43 - 17:46
    nous poussent à le désacraliser
    et même à essayer de s'en émanciper.
  • 17:46 - 17:49
    C'est vrai qu'on lit parfois
    -notamment dans des magazines féminins-
  • 17:49 - 17:53
    des discours d'empowerment qui invitent
    à être plus autonome, à travailler sur
  • 17:53 - 17:55
    son estime de soi,
    pour s'aimer soi-même.
  • 17:55 - 17:57
    Pour Eva Illouz, ça n'a pas de sens.
  • 17:57 - 18:02
    Si vous voulez, la psychologie parle
    toujours de ce "déficit d'estime"
  • 18:02 - 18:09
    pour soi-même et nous enjoint même
    -pour moi de façon un peu absurde-
  • 18:09 - 18:16
    à nous aimer et à trouver en nous-même
    les sources de notre estime.
  • 18:16 - 18:22
    Pour une sociologue c'est faire
    l'économie d'un processus sociologique
  • 18:22 - 18:26
    fondamental qui est la reconnaissance.
    La reconnaissance ne peut par définition
  • 18:26 - 18:28
    être donnée que par les autres.
  • 18:28 - 18:31
    Ça n'a aucun sens de
    se reconnaître soi-même.
  • 18:31 - 18:38
    Dans une société -je dirais- féodale,
    pré-moderne, où les trajectoires sociales
  • 18:38 - 18:43
    ont une fluidité très limitée
    et où les positions sociales sont
  • 18:43 - 18:48
    assez fixées, la reconnaissance se fait
    dans son statut social, elle se fait à
  • 18:48 - 18:52
    l'intérieur.
    Or, qu'est-ce que c'est la modernité?
  • 18:52 - 18:56
    Il y a une une très grande incertitude
    qui se met en place dans la modernité
  • 18:56 - 19:01
    sur notre valeur parce que la valeur
    sociale n'est plus attaché à notre
  • 19:01 - 19:06
    naissance.
    C'est à nous à la conquérir et à la faire
  • 19:06 - 19:12
    et à la construire.
    Donc, la reconnaissance sociale je dirais
  • 19:12 - 19:18
    qu'il va y avoir une sorte de déficit
    chronique chez beaucoup de gens.
  • 19:18 - 19:21
    C'est ce qu'on appelle le manque
    de confiance en soi.
  • 19:21 - 19:25
    C'est un problème sociologique
    et non psychologique.
  • 19:25 - 19:32
    Ce manque de confiance en soi peut être
    palié par une relation de couple
  • 19:32 - 19:37
    qui va du coup assumer un nouveau rôle
    qui est celle... qui est celui pardon
  • 19:37 - 19:43
    de pourvoir au déficit de la
    reconnaissance qui existe ailleurs.
  • 19:43 - 19:46
    Voilà donc un paradoxe saisissant:
    la relation amoureuse est devenue
  • 19:46 - 19:49
    une source indispensable de
    reconnaissance et d'estime de soi
  • 19:49 - 19:52
    mais en même temps nos sociétés modernes
    valorisent l'autonomie individuelle,
  • 19:52 - 19:55
    la réflexivité rationnelle,
    l'abondance de choix,
  • 19:55 - 19:58
    tout un tas de choses qui peuvent
    entrer en tension avec la possibilité
  • 19:58 - 20:02
    de tomber amoureux, de s'abandonner
    à ce sentiment irrationnel et je dois
  • 20:02 - 20:06
    dire que ça faisait longtemps que j'avais
    envie de rencontrer Eva Illouz parce que
  • 20:06 - 20:09
    sur ces sujets-là je trouve ça difficile
    de me faire un avis.
  • 20:09 - 20:12
    C'est délicat de critiquer trop de
    liberté ou trop de choix en amour.
  • 20:12 - 20:15
    Ça me paraît évident que c'est un
    progrès d'avoir la liberté de quitter
  • 20:15 - 20:18
    quelqu'un quand on est
    plus heureux par exemple.
  • 20:18 - 20:21
    En même temps, je vois bien la limite
    de l'extrême liberté, façon tinder,
  • 20:21 - 20:25
    où je n'ai pas l'impression que les gens
    soient complètement éparminouches.
  • 20:25 - 20:28
    On a vu que Welbeck comparait les effets
    de la libéralisation de l'économie et de
  • 20:28 - 20:32
    l'amour mais, je ne sais pas si c'est
    vraiment une comparaison pertinente.
  • 20:32 - 20:36
    Très à l'aise pour dire on voit bien
    trop de libéralisation, de la circulation
  • 20:36 - 20:39
    des flux de capitaux et ben ça crée de
    l'instabilité financière, ça crée des
  • 20:39 - 20:42
    bulles, ça crée des crises...
    Il faut réguler.
  • 20:42 - 20:45
    Je suis assez à l'aise avec ça.
    Autant dans le domaine amoureux je me
  • 20:45 - 20:48
    dis je peux pas rentrer dans la vie
    privée des gens et leur dire "non, là il
  • 20:48 - 20:51
    faut se protéger, il faut mettre des
    limites à la liberté..."
  • 20:51 - 20:54
    Non, je me dis il faut vivre avec ce
    risque-là de cette liberté-là,
  • 20:54 - 20:58
    de souffrir, parce que on va peut-être
    se faire quitter plus facilement et donc
  • 20:58 - 21:03
    je trouve ça compliqué de de bien
    formuler cette problématique de trop
  • 21:03 - 21:05
    de liberté.
  • 21:05 - 21:13
    À choisir entre une société qui étouffe
    le désir et une société qui nous jette
  • 21:13 - 21:20
    dans l'angoisse, je crois qu'il vaut
    mieux être dans l'angoisse,
  • 21:20 - 21:24
    dans l'angoisse que la liberté génère.
    Mais la liberté est beaucoup plus
  • 21:24 - 21:27
    critiqué qu'on ne le pense.
    Je dirais que peut-être la
  • 21:27 - 21:32
    critique la plus importante, la plus
    intéressante c'est que les relations
  • 21:32 - 21:39
    amoureuses et sexuelles rendent très
    vulnérable et là je crois qu'il faudrait
  • 21:39 - 21:44
    engager si vous voulez une sorte de
    discussion collective sur la question
  • 21:44 - 21:47
    de savoir qu'est-ce qu'on doit à
    quelqu'un d'autre, parce que les
  • 21:47 - 21:54
    relations sexuelles et sentimentales,
    comme vous l'avez dit, semble être
  • 21:54 - 21:57
    soumise aujourd'hui à ce que
    j'appellerai "un régime de liberté
  • 21:57 - 22:02
    radicale" où on peut finalement faire
    tout ce qu'on veut.
  • 22:02 - 22:05
    Le discours de la morale et
    de l'éthique semble caduc et désué.
  • 22:06 - 22:14
    Or, ça me semble être une grande erreur
    collective de laisser ce domaine être
  • 22:14 - 22:18
    devenu finalement assez chaotique
    sur le plan moral.
  • 22:18 - 22:22
    Et vous pensez que c'est possible
    de réhabiliter donc une certaine
  • 22:22 - 22:27
    valorisation de l'engagement sans que
    ça tombe dans quelque chose de...
  • 22:27 - 22:30
    Non, il s'agit pas du tout de réhabiliter
    quoi que ce soit, parce qu'on est dans
  • 22:30 - 22:33
    une situation tout à fait nouvelle.
  • 22:33 - 22:35
    Donc il s'agit pas du
    tout de réhabiliter.
  • 22:35 - 22:37
    Au contraire, il s'agit d'inventer.
  • 22:37 - 22:40
    Il s'agit vraiment d'inventer
    et de discuter de nouveaux codes
  • 22:40 - 22:45
    éthiques dans les relations
    sexuelles et sentimentales.
  • 22:45 - 22:48
    Ça c'est quelque chose de très précieux
    dans la démarche de Eva Illouz.
  • 22:48 - 22:52
    Elle arrive à tenir une ligne de cête
    difficile pour éviter aussi bien
  • 22:52 - 22:56
    la complainte conservatrice contre
    la liberté sexuelle que l'approche
  • 22:56 - 23:00
    libertarienne pour laquelle la liberté
    l'emporterait sur toutes les autres
  • 23:00 - 23:03
    valeurs et qui ne se soucierait
    donc pas de la vulnérabilité
  • 23:03 - 23:05
    dans laquelle nous plonge
    toute relation amoureuse.
  • 23:05 - 23:09
    Pour elle, on peut tout à fait vouloir
    plus d'égalité, plus de liberté,
  • 23:09 - 23:13
    sans pour autant négliger la question
    éthique de savoir quelle règles
  • 23:13 - 23:17
    de conduite on se donne pour faire
    souffrir l'autre le moins possible.
  • 23:17 - 23:19
    Est-ce qu'on peut ne pas du tout
    souffrir en amour?
  • 23:19 - 23:22
    Est-ce que c'est possible d'évacuer
    toute souffrance?
  • 23:22 - 23:25
    Non, je pense que c'est difficile
    parce que on est excessivement
  • 23:25 - 23:27
    vulnérable.
  • 23:27 - 23:29
    Il nous met véritablement
    en danger ce sentiment.
  • 23:29 - 23:34
    Mais par contre je dirais que je suis
    contre toute une culture de
  • 23:34 - 23:37
    l'esthétisation de la souffrance.
  • 23:38 - 23:41
    Là par contre je n'y crois pas.
    Je pense qu'on a beaucoup esthétisé
  • 23:41 - 23:45
    la souffrance amoureuse.
    Je crois à l'amour heureux
  • 23:46 - 23:50
    et je crois que l'amour heureux est
    beaucoup plus intéressant et
  • 23:50 - 23:58
    sociologiquement plus riche
    que l'amour malheureux
  • 23:59 - 24:04
    et l'amour heureux c'est précisément
    un amour qui tiendrait compte aussi
  • 24:04 - 24:10
    de tout le progrès moral qu'on a fait.
    c'est-à-dire le progrès qui consiste
  • 24:10 - 24:13
    à reconnaître une autre
    personne comme notre égal.
  • 24:13 - 24:16
    L'expérience amoureuse est compliquée.
    Tomber amoureux implique une perte
  • 24:16 - 24:20
    d'indépendance, ce qui n'est pas évident
    à une époque qui exalte l'autonomie
  • 24:20 - 24:23
    et la liberté.
    Les explications scientifiques
  • 24:23 - 24:26
    qui décrivent le coup de foudre
    comme un pic de sérotonine,
  • 24:26 - 24:29
    les théories féministes qui
    déconstruisent les fictions
  • 24:29 - 24:33
    romantiques patriarcales et les
    discours psychologiques qui analysent
  • 24:33 - 24:36
    nos élans, toutes ces formations
    culturelles de la modernité nous ont fait
  • 24:36 - 24:40
    progresser mais elles concourent aussi
    à fragiliser nos idéaux amoureux.
  • 24:40 - 24:44
    Il ne s'agit pourtant pas d'y renoncer
    car malgré tout nous n'avons jamais eu
  • 24:44 - 24:46
    autant besoin d'amour.
  • 24:46 - 24:49
    Pour aller plus loin, mes sources
    sont en description et pour garder les
  • 24:49 - 24:52
    idées larges il y a d'autres épisodes.
    À bientôt!
Title:
Croyons-nous encore à l'amour ? | Les idées larges | ARTE
Description:

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Video Language:
French
Duration:
25:16

French subtitles

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