-
On entend souvent qu'il faut
se méfier des contes de fées.
-
Ces dessins animés nous ont fait
croire au myth du prince charmant
-
qui viendrait un jour
nous apporter le bonheur.
-
Je trouve ça important de réfléchir
à comment cet imaginaire a ancré
-
des clichés et conditionné nos attentes.
-
Mais si je suis honnête, je dois
reconnaître que j'aime toujours autant
-
les comédies romantiques.
-
Eva Illouz est directrice
d'études à EHESS.
-
Pour elle le sentiment amoureux est un
objet d'étude sociologique intéressant
-
en tant que prisme pour comprendre
les tensions et les contradictions
-
qui structurent nos identités modernes.
-
L'amour, ce sentiment irrationnel
de fusion émotionnelle, peut-il survivre
-
dans une époque qui valorise
la liberté et la rationalité?
-
La libération sexuelle, si chèrement
acquise, compromet-elle la possibilité
-
de tisser des liens solides?
Croyons-nous encore à l'amour?
-
Le grand amour...
-
Eva Illouz analyse dans ses ouvrages
la transformation de la vie affective
-
dans la modernité occidentale.
Pour ce faire, elle s'appuie
-
sur une grande variété de sources.
Elle mène des entretiens avec des hommes
-
et des femmes, elle puise dans la culture
populaire dans les séries comme "Sex and
-
the City", ou le best-seller
"50 nuances de Grey".
-
Elle analyse aussi les œuvres
de Jane Austin Flobert ou Stephan Zweig,
-
issu de la littérature romantique.
-
En quoi elle consiste
cette "l'idéal romantique"?
-
Il s'agit d'un idéal hétérosexuel
(entre un homme et une femme) dont tout
-
l'intérêt est précisément de poser
qu'il y a un domaine de sentiments
-
qu'on doit cultiver, qu'on doit explorer,
dont on doit faire l'expérience
-
en dehors d'un cadre institutionnel
(du mariage).
-
Donc, si vous voulez, il y a des
éléments, quelques éléments
-
anti-institutionels, anti-marriage,
dans l'idée romantique, apparement
-
Roméo et Juliette.
Ceci dit, avec une transformation
-
qui est que ce qu'on appelle
l'idéal de la famille bourgeoise
-
va progressivement intégrer cette idée
de l'amour romantique qui jusque là était
-
extrinsèque véritablement au mariage
et donc on a une sorte de domestication
-
de l'idée de l'amour qui
devient institutionnalisé.
-
L'idéal romantique de l'amour a donc été
progressivement intégré dans le cadre
-
de la famille bourgeoise avec la
généralisation du mariage d'amour
-
au cours du 19e siècle.
-
Alors, si je devais définir maintenant
qu'est-ce que c'est la forme idéale
-
typique de l'amour, je dirais qu'elle
est souvent copiée de l'amour
-
qu'on a pour Dieu.
-
D'ailleurs, c'est pas tellement étonnant
puisque l'idéal séculaire de l'amour
-
se formule dans une culture qui
est profondément chrétienne.
-
D'abord le caractère absolu de l'amour,
ce qu'on appelle "amour romantique",
-
ce caractère absolu rappelle
effectivement l'amour de du croyant
-
pour son Dieu, l'amour exclusif.
Il s'agit d'un amour exclusif.
-
Là encore on se souvient
que Dieu est jaloux.
-
Il n'admet pas d'autres divinités.
C'est un sentiment qui est total aussi,
-
qui envahit tout l'être et c'est pour ça
qu'on va privilégier aussi le coup
-
de foudre.
-
C'est quelque chose qui est n'est pas
rationnel et je dirais que la dernière
-
chose qui caractérise cet amour
c'est qu'on est prêt à souffrir
-
jusqu'à la mort.
-
C'est ce qui va faire dire à des gens
comme Denis de Rougemont
-
qu'il y a une affinité secrète
entre la mort et l'amour.
-
L'idéal romantique d'un amour spontané
et inconditionnel perdure, mais il est
-
traversé par ce qu'Eva Illouz appelle
"la grande transformation de l'amour".
-
La grande transformation c'est
quelque chose qui se produit
-
-je dirais- après les années 60.
-
-D'accord.
-C'est seulement après les années
-
60 au 20e siècle, que les relations
sexuelles et amoureuses deviennent
-
autotéliques.
C'est-à-dire que ça devient un système
-
qui ne dépend plus ni du groupe social,
ni de la famille, ni de la moralité.
-
Le deuxième élément qui donc est
concomitant à cela c'est ce qu'on
-
appelle "le phénomène
de la liberté sexuelle".
-
La liberté sexuelle, une autre façon
de le dire, qu'on aimerait peut-être
-
un peu moins.
C'est de parler de dérégulation
-
finalement de ces rapports amoureux.
-
Ça veut dire que les garçons et les
filles, les hommes et les femmes, vont
-
se rencontrer comme sur un marché
et alors, pour parler de façon crue,
-
je dirais qu'il y a une offre
et il y a une demande et donc
-
c'est l'apparition de ce que
j'ai développé dans un petit livre qui
-
s'appelle "Le capital sexuel",
il y a des gens qui vont avoir beaucoup
-
de capital sexuel à proposer sur ce
marché et d'autres qui vont en avoir
-
beaucoup moins.
C'est à ça que Houellebecq faisait
-
référence dans "Extension du domaine
de la lutte" quand il parlait de son
-
malheureux héros qui avait été en fait
un perdant sur le marché sexuel
-
et c'est Houellebecq -à mon avis-
qui avait le premier très bien vu
-
ce qu'il appelait ce
"néolibéralisme de la sexualité".
-
Tout comme le libéralisme économique
sans frein et pour des raisons
-
analogues, le libéralisme sexuel
produisait des phénomènes
-
de paupérisation absolue.
-
Certains faisaient l'amour
tous les jours,
-
d'autres 5 ou 6 fois dans leur vie
-
ou jamais.
-
Certains faisaient l'amour avec des
dizaines de femmes, d'autres avec
-
aucune.
-
C'est ce qu'on appelle
"la loi du marché".
-
Et le troisième élément qui est très
important dans ce dans cette grande
-
transformation c'est que "qu'est-ce que
ça veut dire la liberté sexuelle?"
-
Ça veut dire qu'il y a
beaucoup plus d'échantillons
-
et je dirais le 4e changement
c'est l'émergence de ce qu'on pourrait
-
appeler de "nouvelles formes
biographiques" qui incluent
-
une "carrière sexuelle"
ou une carrière romantique.
-
Donc il s'agit maintenant quelqu'un
je dirais de 30 ans 35 ans a derrière
-
lui en général une sorte
de carrière sexuelle.
-
Parmi les diverses facettes de cette
grande transformation de l'amour il y a
-
le plus grand nombre d'échantillons de
partenaires potentiels, donc l'extension
-
du choix.
Pour Eva et Illouz, la notion de choix
-
est la marque de fabrique
de notre époque.
-
Le choix est effectivement pour moi une
notion centrale pour comprendre comment
-
se constitue l'individu, je dirais,
au 20e siècle.
-
Pensons déjà par exemple à la démocratie.
-
Qu'est-ce que c'est une
démocratie électorale?
-
C'est le fait qu'on donne aux citoyens
la possibilité de choisir un candidat.
-
Dans le domaine économique à partir des
années 20, une des grandes justifications
-
du capitalisme qui commence à produire
de plus en plus de biens de consommation
-
c'est l'idée du choix.
Si vous regardez le mouvement féministe,
-
il est très intéressant pour moi que,
par exemple, aux États-Unis dans les
-
années 60 et 70 le mouvement féministe
se définit comme un mouvement qui est
-
"pro choice", c'est-à-dire pour le choix.
Donc je dirai que le choix est une façon
-
très particulière de comprendre cette
notion philosophique, qui est plus large
-
que celle de liberté.
-
Mais ce que j'essaie précisément
de montrer dans mon travail
-
c'est que en comprenant ou
en instituant beaucoup de choix
-
dans des tas de domaines on ne rend
pas du tout forcément les agents
-
plus libres.
-
La notion de choix est donc fondamentale,
puisqu'on l'assimile à celle de liberté
-
et en amour on a de plus en plus
tendance à envisager nos relations
-
en terme de bon ou de mauvais choix.
-
Non seulement on est objectivement face
à un plus large choix de partenaires
-
possibles, mais notre manière subjective
de faire un choix parmi eux a changé.
-
Il y a une expérience qui avait été faite
par deux psychologues à l'université de
-
Chicago (psychologues cognitifs)
que je trouve très intéressante
-
à ce titre là.
-
Ils mettent en scène
deux façons d'acheter.
-
La première c'est ce qu'on appelle
le "mode enchère".
-
C'est-à-dire qu'on vous présente
un vase et on va vous demander combien
-
est-ce que vous êtes prêt
à acheter ce vase.
-
Sur le mode enchère la pièce est unique.
Elle n'est pas comparée à d'autres.
-
Ensuite il y a le mode...
je ne sais plus exactement comment
-
ils l'appellent, mais je
vais l'appeler "étagère".
-
Le mode étagère ça veut dire que ce vase
est à côté de beaucoup de vases.
-
Il se trouve que dans le mode étagère
on veut toujours payer moins.
-
On est prêt à payer plus dans le mode
enchère, alors qu'il s'agit du même vase!
-
Sur la question du choix amoureux
il n'y a pas de raison de présupposer
-
que c'est extrêmement différent.
-
Cette multiplication de choix entraîne
une sorte de dévalorisation des autres
-
et non seulement une dévalorisation.
C'est-à-dire les gens ont moins de
-
valeur, mais de façon aussi égale.
C'est qu'on n'arrive pas à attribuer
-
une valeur.
-
On n'arrive pas à attribuer une valeur
à l'autre, ce qui nous laisse souvent
-
dans un état de doute et
potentiellement de paralysie.
-
On va avoir plus de mal à
se lancer dans une relation.
-
Alors, on va parler
des sites de rencontre.
-
Ça paraît assez évident que les applis
accentuent tout ce que vous venez de
-
décrire: le côté marchandisation,
le côté augmentation du choix,
-
la rationalisation aussi qu'on met
en œuvre pour faire ses choix...
-
Donc, est-ce que c'est simplement
une radicalisation de tout ce que vous
-
venez de décrire ou est-ce
que on passe à autre chose?
-
C'est une très belle question.
J'ai pensé qu'il s'agissait d'une
-
radicalisation.
-
Je pense aujourd'hui qu'il
s'agit d'une transformation.
-
Alors, ce que se radicalise c'est
par exemple la quantité des choix.
-
Ça prend vraiment la
forme étagère/marché.
-
Donc, je dirais que avant les sites
de rencontres on était dans la forme
-
enchère et là on est
dans la forme étagère,
-
où plusieurs personnes sont mises
à plat et sont en concurrence
-
finalement les unes avec les autres
et où nous sommes nous-mêmes
-
en concurrence avec d'autres.
Mais ça je crois que ça transforme
-
en fait la façon même
dont on va choisir.
-
C'est-à-dire se poser sur quelqu'un.
Ça va rendre beaucoup plus difficile
-
le choix.
-
Alors il y a deux difficultés je dirais
dans le fait de faire un choix.
-
La première c'est que encore une fois
il y a des expériences qui montrent
-
qu'on a tendance à maximiser le choix
quand on a beaucoup de choix.
-
Eva Illouz fait ici référence aux travaux
de l'économiste Herbert Simon,
-
qui a montré comment un nombre plus
important d'options conduit au glissement
-
d'une stratégie privilégiant la
satisfaction à une stratégie
-
de la maximisation.
-
C'est-à-dire qu'on se contente moins de
l'option suffisamment bonne et on cherche
-
la meilleure option possible,
ce qui veut dire aussi qu'on peut
-
constamment être en train de se demander
si on a vraiment fait le bon choix,
-
si on ne pourrait pas trouver mieux.
-
La deuxième chose c'est que
ça nous rend plus confus.
-
Là encore c'est ce que les psychologues
cognitifs appellent
-
"information overload".
C'est quand il y a trop d'information.
-
Quand on a trop de choix,
on a trop d'information.
-
Quand on a trop d'information,
on n'arrive plus très bien à savoir.
-
En plus, sur internet on peut
aller chercher des informations
-
sur la personne.
-Ouais, c'est ça.
-
Troisième chose enfin, j'avais dit deux
mais là en fait il y en a trois,
-
c'est (mais c'est liée à la deuxième)
c'est qu'en fait il y a vraiment
-
deux modes différents de choisir.
Le mode face à face, c'est un mode
-
-je dirais- qui est intuitif.
C'est un mode de connaissance
-
où on n' pas besoin de beaucoup
de choses justement pour faire un choix
-
ou pour décider de notre attitude
vis-à-vis de quelqu'un.
-
Typiquement quand on rencontre quelqu'un,
même si on sait très peu de choses sur
-
eux, au bout de à peu près 3 minutes
on a décider -consciemment
-
ou inconsciemment- si on
les aime bien ou pas
-
et on fait ce choix donc sur la base
de très peu d'information.
-
Le choix qu'on est sommé de faire sur
Internet est très différent.
-
C'est un choix qui est rationnel
et qui est basé sur une masse
-
d'information, alors que le sentiment
amoureux c'est un sentiment qui se veut
-
être ineffable et irrationnel.
Si vous voulez donc,
-
deux logiques incompatibles,
qui se télescopent l'une dans l'autre.
-
On a l'illusion aussi qu'on sait
ce qu'on veut, que on peut décire
-
la personne qu'on attend, mais en fait
très souvent ce qui va nous bouleverser
-
chez quelqu'un c'est
le coin d'un sourire.
-
C'est une façon de se tenir,
c'est le timbre d'une voix.
-
Toutes ces choses-là ne sont
pas du tout formalisables.
-
Je trouve ça intéressant,
ce déclin du rôle de l'intuition
-
dans le désir amoureux.
Traditionnellement l'attirance pour
-
quelqu'un mobilise souvent inconsciemment
nos expériences et nos relations passées
-
et le fait qu'on dispose de peu
d'information facilite une certaine
-
idéalisation de l'autre personne.
-
À l'inverse, sur les applis on a plus
d'information, donc on soupèse
-
méthodiquement les mérites de la personne
-
et cette rationalisation participe
d'un mouvement plus profond de notre
-
société qui a tendance à se méfier
un peu du myth du grand amour,
-
à le déconstruire.
-
Eva Illouz emprunte au sociologue
Max Weber le concept de désenchantement
-
pour parler de ce processus
propre à la modernité.
-
Le désenchantement c'est le fait
qu'on ne nous l'a fait plus.
-
C'est le fait qu'il devient très
difficile de croire en quelque chose
-
parce que la science par exemple
(mais pas seulement la science,
-
je dirais aussi la politique féministe)
nous met en garde contre la croyance
-
irrationnal dans ce qui
est devenu un grand mythe.
-
Pas seulement le féminisme
et pas seulement la science
-
mais aussi la psychologie.
-
Là elle évoque rapidement plein
de facteurs de désenchantement
-
très différents.
Ça vaut le coup de revenir dessus.
-
D'abord, elle mentionne la science
et là on pense par exemple aux théories
-
biologiques qui expliquent le sentiment
amoureux par la présence dans le cerveau
-
de sérotonine ou d'xytocine.
C'est sûr que ça tue un peu la magie.
-
Quand elle parle de l'influence
des féministes, il s'agit -entre autres-
-
des analyses qui montrent comment
l'idéalisation de l'amour romantique,
-
véhiculé notamment par les contes de fées
at a pu servir à cantonner les femmes
-
à la sphère domestique et à masquer
les inégalités de genre.
-
Et enfin Eva Illouz remarque que le
développement de la culture psy nous
-
pousse aussi à suranalyser
nos vies affectives.
-
En fait, si vous voulez, ce sont des
formations culturelles qui nous invitent
-
constamment à ce que j'appelle
"la réflexivité".
-
La réflexivité c'est le fait de ne pas
prendre au sérieux ses intuitions,
-
ses pulsions ou bien du moins de les
soupçonner d'autres choses et
-
c'est ce qui fait aussi qu'on va
remettre en question les grands mythes
-
fondateurs de notre société
en se réclamant d'une nouvelle forme
-
d'intelligence.
Ensuite et puis je vais finir avec ça
-
je dirais que et le féminisme et les
mouvements queer ont remis de plus en
-
plus en question l'idéal et le modèle
exclusif de la relation.
-
Cet appel à la fluidité relationnelle
c'est une remise en question aussi
-
du grand mythe de l'amour romantique.
-
Donc, pour résumer on pourrait dire que
cet idéal romantique il nous travaille
-
encore on y aspire encore mais il est
miné ou mis en difficulté par tout toutes
-
ces dimensions là de la modernité.
On pourrait dire que il y a cette tension
-
permanente.
-
Oui, oui je je serai tout à fait d'accord
avec cette formulation, merci.
-
J'avoue j'étais contente qu'Eva Illouz
approuve mon résumé parce que je ne
-
trouve pas ça si simple.
D'un côté, l'amour romantique continue
-
d'être une aspiration forte,
de l'autre côté plein de facteurs
-
nous poussent à le désacraliser
et même à essayer de s'en émanciper.
-
C'est vrai qu'on lit parfois
-notamment dans des magazines féminins-
-
des discours d'empowerment qui invitent
à être plus autonome, à travailler sur
-
son estime de soi,
pour s'aimer soi-même.
-
Pour Eva Illouz, ça n'a pas de sens.
-
Si vous voulez, la psychologie parle
toujours de ce "déficit d'estime"
-
pour soi-même et nous enjoint même
-pour moi de façon un peu absurde-
-
à nous aimer et à trouver en nous-même
les sources de notre estime.
-
Pour une sociologue c'est faire
l'économie d'un processus sociologique
-
fondamental qui est la reconnaissance.
La reconnaissance ne peut par définition
-
être donnée que par les autres.
-
Ça n'a aucun sens de
se reconnaître soi-même.
-
Dans une société -je dirais- féodale,
pré-moderne, où les trajectoires sociales
-
ont une fluidité très limitée
et où les positions sociales sont
-
assez fixées, la reconnaissance se fait
dans son statut social, elle se fait à
-
l'intérieur.
Or, qu'est-ce que c'est la modernité?
-
Il y a une une très grande incertitude
qui se met en place dans la modernité
-
sur notre valeur parce que la valeur
sociale n'est plus attaché à notre
-
naissance.
C'est à nous à la conquérir et à la faire
-
et à la construire.
Donc, la reconnaissance sociale je dirais
-
qu'il va y avoir une sorte de déficit
chronique chez beaucoup de gens.
-
C'est ce qu'on appelle le manque
de confiance en soi.
-
C'est un problème sociologique
et non psychologique.
-
Ce manque de confiance en soi peut être
palié par une relation de couple
-
qui va du coup assumer un nouveau rôle
qui est celle... qui est celui pardon
-
de pourvoir au déficit de la
reconnaissance qui existe ailleurs.
-
Voilà donc un paradoxe saisissant:
la relation amoureuse est devenue
-
une source indispensable de
reconnaissance et d'estime de soi
-
mais en même temps nos sociétés modernes
valorisent l'autonomie individuelle,
-
la réflexivité rationnelle,
l'abondance de choix,
-
tout un tas de choses qui peuvent
entrer en tension avec la possibilité
-
de tomber amoureux, de s'abandonner
à ce sentiment irrationnel et je dois
-
dire que ça faisait longtemps que j'avais
envie de rencontrer Eva Illouz parce que
-
sur ces sujets-là je trouve ça difficile
de me faire un avis.
-
C'est délicat de critiquer trop de
liberté ou trop de choix en amour.
-
Ça me paraît évident que c'est un
progrès d'avoir la liberté de quitter
-
quelqu'un quand on est
plus heureux par exemple.
-
En même temps, je vois bien la limite
de l'extrême liberté, façon tinder,
-
où je n'ai pas l'impression que les gens
soient complètement éparminouches.
-
On a vu que Welbeck comparait les effets
de la libéralisation de l'économie et de
-
l'amour mais, je ne sais pas si c'est
vraiment une comparaison pertinente.
-
Très à l'aise pour dire on voit bien
trop de libéralisation, de la circulation
-
des flux de capitaux et ben ça crée de
l'instabilité financière, ça crée des
-
bulles, ça crée des crises...
Il faut réguler.
-
Je suis assez à l'aise avec ça.
Autant dans le domaine amoureux je me
-
dis je peux pas rentrer dans la vie
privée des gens et leur dire "non, là il
-
faut se protéger, il faut mettre des
limites à la liberté..."
-
Non, je me dis il faut vivre avec ce
risque-là de cette liberté-là,
-
de souffrir, parce que on va peut-être
se faire quitter plus facilement et donc
-
je trouve ça compliqué de de bien
formuler cette problématique de trop
-
de liberté.
-
À choisir entre une société qui étouffe
le désir et une société qui nous jette
-
dans l'angoisse, je crois qu'il vaut
mieux être dans l'angoisse,
-
dans l'angoisse que la liberté génère.
Mais la liberté est beaucoup plus
-
critiqué qu'on ne le pense.
Je dirais que peut-être la
-
critique la plus importante, la plus
intéressante c'est que les relations
-
amoureuses et sexuelles rendent très
vulnérable et là je crois qu'il faudrait
-
engager si vous voulez une sorte de
discussion collective sur la question
-
de savoir qu'est-ce qu'on doit à
quelqu'un d'autre, parce que les
-
relations sexuelles et sentimentales,
comme vous l'avez dit, semble être
-
soumise aujourd'hui à ce que
j'appellerai "un régime de liberté
-
radicale" où on peut finalement faire
tout ce qu'on veut.
-
Le discours de la morale et
de l'éthique semble caduc et désué.
-
Or, ça me semble être une grande erreur
collective de laisser ce domaine être
-
devenu finalement assez chaotique
sur le plan moral.
-
Et vous pensez que c'est possible
de réhabiliter donc une certaine
-
valorisation de l'engagement sans que
ça tombe dans quelque chose de...
-
Non, il s'agit pas du tout de réhabiliter
quoi que ce soit, parce qu'on est dans
-
une situation tout à fait nouvelle.
-
Donc il s'agit pas du
tout de réhabiliter.
-
Au contraire, il s'agit d'inventer.
-
Il s'agit vraiment d'inventer
et de discuter de nouveaux codes
-
éthiques dans les relations
sexuelles et sentimentales.
-
Ça c'est quelque chose de très précieux
dans la démarche de Eva Illouz.
-
Elle arrive à tenir une ligne de cête
difficile pour éviter aussi bien
-
la complainte conservatrice contre
la liberté sexuelle que l'approche
-
libertarienne pour laquelle la liberté
l'emporterait sur toutes les autres
-
valeurs et qui ne se soucierait
donc pas de la vulnérabilité
-
dans laquelle nous plonge
toute relation amoureuse.
-
Pour elle, on peut tout à fait vouloir
plus d'égalité, plus de liberté,
-
sans pour autant négliger la question
éthique de savoir quelle règles
-
de conduite on se donne pour faire
souffrir l'autre le moins possible.
-
Est-ce qu'on peut ne pas du tout
souffrir en amour?
-
Est-ce que c'est possible d'évacuer
toute souffrance?
-
Non, je pense que c'est difficile
parce que on est excessivement
-
vulnérable.
-
Il nous met véritablement
en danger ce sentiment.
-
Mais par contre je dirais que je suis
contre toute une culture de
-
l'esthétisation de la souffrance.
-
Là par contre je n'y crois pas.
Je pense qu'on a beaucoup esthétisé
-
la souffrance amoureuse.
Je crois à l'amour heureux
-
et je crois que l'amour heureux est
beaucoup plus intéressant et
-
sociologiquement plus riche
que l'amour malheureux
-
et l'amour heureux c'est précisément
un amour qui tiendrait compte aussi
-
de tout le progrès moral qu'on a fait.
c'est-à-dire le progrès qui consiste
-
à reconnaître une autre
personne comme notre égal.
-
L'expérience amoureuse est compliquée.
Tomber amoureux implique une perte
-
d'indépendance, ce qui n'est pas évident
à une époque qui exalte l'autonomie
-
et la liberté.
Les explications scientifiques
-
qui décrivent le coup de foudre
comme un pic de sérotonine,
-
les théories féministes qui
déconstruisent les fictions
-
romantiques patriarcales et les
discours psychologiques qui analysent
-
nos élans, toutes ces formations
culturelles de la modernité nous ont fait
-
progresser mais elles concourent aussi
à fragiliser nos idéaux amoureux.
-
Il ne s'agit pourtant pas d'y renoncer
car malgré tout nous n'avons jamais eu
-
autant besoin d'amour.
-
Pour aller plus loin, mes sources
sont en description et pour garder les
-
idées larges il y a d'autres épisodes.
À bientôt!