Les chats sont-ils liquides ? | Marc-Antoine Fardin | TEDxTours

Physicien et chercheur au CNRS à l’Institut Jacques Monod à l’Université de Paris Diderot, Marc-Antoine Fardin met volontiers en lumière une discipline peu connue du grand public : la rhéologie.

Étude de la résistance des matériaux aux contraintes et aux déformations, comme les écoulements de matière, que ce soit de cellules, de tissus, de polymères ou de… chats. Oui, de chats ! Ces petits félins peuvent-ils être liquides ? Marc-Antoine Fardin a été décerné le très parodique prix IgNobel (prononcez IgNoble, pour le jeu de mot) qui récompense les recherches scientifiques qui paraissent insolites, voire drolatiques, mais qui poussent malgré elles à une certaine réflexion.

Cette présentation a été donnée lors d'un événement TEDx local utilisant le format des conférences TED mais organisé indépendamment. Pour en savoir plus: http: //ted. com/tedx

Je voulais vous dire un truc...
sur la physique.

Alors, ce n'est pas exactement la physique
qu'on voit dans les livres scolaires.

La physique, elle est un peu mégalomane,
elle a tendance à tout vouloir régir,

de l'infiniment petit
à l'infiniment grand.

Et pour pouvoir couvrir
un spectre aussi large,

il faut, bien sûr, de l'imagination

parce que ce qui se passe dans un atome,

un grain de sable, une boule
de pétanque, ou une planète,

n'est pas forcément la même chose.

Donc il faut être prêt
à inventer des lois nouvelles.

Mais, en parallèle de cette approche,

il faut aussi parfois savoir utiliser
une certaine forme de paresse

parce qu'en fait,
ce qui se passe dans un atome,

un grain de sable,

une boule de pétanque, ou une planète,

peut en de nombreux points être similaire.

Et pour pouvoir repérer ces parallèles

entre des objets qui sont
a priori complètement différents,

il faut savoir poser
des questions un peu bizarres,

et je vous ai préparé
une petite sélection.

Donc, quel est le point commun
entre la rupture d'un spaghetti pas cuit

et celle d'une poutre métallique ?

Ou entre le tourbillon que je vais faire
dans une tasse de café avec une cuillère,

et les cyclones dans l'atmosphère ?

Une autre : quel est le point commun

entre la physique des disques d'accrétion
autour des étoiles en formation -

très sérieux - et celle
de la pâte à gâteau ?

Ou entre la mayonnaise d'un côté

et la fusion nucléaire confinée ?

C'est d'une de ces questions bizarres
dont je vais vous parler ce soir,

et c'est : « Quel est
le point commun entre un liquide...

et un chat ? »

(Rires)

Derrière cette question, il y a une
question un peu plus sérieuse qui est :

« Qu'est-ce qu'un liquide ? »

Un liquide, c'est un matériau
qui va adapter sa forme à son contenant

tout en maintenant un volume constant.

C'est ça, la définition
officielle d'un liquide.

Et on voit que dans de nombreux cas,

(Rires)

les chats semblent plutôt bien
s'accorder à cette définition.

Ils adaptent leur forme à leur contenant.

Des photos comme ça,
vous en avez peut-être déjà vu.

Depuis plusieurs années, il y en a
pas mal qui circulent sur Internet.

Et je passe un peu une partie
de mon temps sur Internet,

en tant que chercheur, je veux dire !

(Rires)

Et je n'ai pas manqué
l'apparition de ce mème,

plein de photos de ce type associées à la
question « Les chats sont-ils liquides ? »

Il y a quelques années,

par une après-midi de printemps

qui ne me donnait pas trop envie
de faire ce que j'étais censé faire,

j'ai décidé d'écrire
un article scientifique sous le titre :

« Sur la rhéologie des chats »,
afin de prendre cette question au sérieux.

C'est une procrastination
qui a plutôt bien réussi puisqu'en fait,

quelques années après, cela m'a valu
l'obtention du prix IgNobel de physique,

qui récompense des recherches
qui font à la fois rire et réfléchir.

J'ai dit que l'article scientifique
s'appelait « Sur la rhéologie des chats ».

Qu'est-ce que c'est
que ce mot « rhéologie » ?

Rhéologie, ça vient du grec
« rheo » qui veut dire s'écouler.

On retrouve la racine dans d'autres mots,
par exemple, « rythme »,

des mots un peu pompeux
comme « logorrhée » -

je vais essayer de ne pas
faire ça moi-même -

et des mots un peu moins
pompeux comme « diarrhée »,

tout le monde connait celui-là ! (Rires)

Du coup l'idée a été
de prendre la question

« Les chats sont-ils liquides ? »

pour l'utiliser afin d'illustrer
certaines des problématiques,

là pour le coup assez sérieuses,
auxquelles les rhéologues sont confrontés

et qu'ils essayent
de résoudre tous les jours.

Alors, les chats sont-ils
liquides ou pas ?

En fait, et c'est ça un peu la clé,

la réponse à la question

dépend du temps
qu'on est prêt à lui accorder.

Parce qu'en fait, si on regarde bien
derrière la définition d'un liquide,

adapter sa forme est une action

qui ne va pas se produire
de façon instantanée.

Derrière cette adaptation de la forme,
il y a un temps caractéristique

et ce temps caractéristique

(Rires)

on l'appelle le temps de relaxation.

Dans de nombreux cas -

les cas les plus faciles à traiter -

le temps de relaxation est
quelque chose d'intrinsèque au matériau.

Donc, dans le cas d'un chat,
ça va dépendre de son âge ou de sa race.

On voit ici que le numéro 107
paraît plus liquide,

donc, un temps de relaxation plus court.

Parce que c'est ça, la clé derrière
le concept de temps de relaxation,

c'est qu'à la question
« Un chat est-il liquide ? »

ou « Tel matériau est-il liquide ? »,

il faut répondre à une
autre question qui est :

« Quel est le temps
de relaxation de ce matériau ? »

Pour un chat, c'est la même chose,
on va se poser cette question,

quel est le temps de relaxation
du chat, de quoi dépend-il ?

Ici, j'ai donné un cas,
le cas le plus simple à traiter,

soit quand le temps de relaxation
ne dépend que du matériau lui-même.

Mais a priori, il peut dépendre
aussi du contenant

puisqu'on peut très bien imaginer
qu'un chat se relaxe plus facilement,

se liquéfie plus facilement
sur les genoux de son compagnon

plutôt que dans une cage.

Ici, je vous donne un autre exemple
qui est celui d'une goutte d'eau.

L'eau, c'est plutôt
le liquide par excellence.

On a tendance à imaginer
qu'elle va s'étaler sur la surface,

mais dans certains contextes,
on voit que l'eau perle.

Essayer de mieux comprendre
pourquoi dans certains cas,

le matériau se met à s'écouler et dans
d'autres non, en fonction du contenant,

a trait à des questions
qui sous-tendent des recherches

sur ce qu'on appelle le « mouillage ».

Et les recherches sur le mouillage,

ça va du développement
de pare-brises super hydrophobes

qui permettent de se dispenser
de l'utilisation d’essuie-glaces,

aux recherches essayant de comprendre
le développement des tumeurs cancéreuses

parce qu'en fait, la façon dont les
cellules et tissus cancéreux se répandent

peut aussi se comprendre
de cette manière-là.

En fait, essayer d'estimer,

de mesurer, de calculer,
peut-être même de modifier

le ou les temps de relaxation
de matériaux les plus divers et variés,

c'est un peu ce qui est au cœur
de la recherche des rhéologues.

Et ce qu'il faut essayer
de garder en tête aussi,

c'est que ces temps de relaxation

peuvent aller de la milliseconde
aux millions d'années.

Ça ne retire rien au fait

que si l'on observe ces matériaux
sur des temps suffisamment longs,

on les verra s'écouler.

Un exemple, sur une échelle de temps

de plusieurs dizaines d'années
ou plusieurs années,

vous avez peut-être vu qu'en bas
d'une route en pente,

parfois, l'asphalte
fait comme des bourrelets.

C'est que sur plusieurs années,
l'asphalte coule le long de la pente.

Il peut en être autant

de plein d'autres matériaux
de construction, du béton à l'acier,

et c'est pour ça que
les industries de ces matériaux

dépensent beaucoup d'argent
pour mieux comprendre leur rhéologie.

Parfois, ce sont des
petits détails microscopiques

qui vont avoir un impact important.

L'effondrement d'un bâtiment

dépend parfois de la physique précise
des grains de sable qui le constituent.

Un bon exemple de cet impact
potentiellement important

du microscopique sur le macroscopique,
se retrouve chez les pompiers

qui ont tendance à ajouter
des petites molécules filiformes

en petites quantités
à l'intérieur de leur réservoir d'eau,

et ces molécules filiformes ont tendance

à réduire la turbulence
à l'intérieur des lances à incendie,

ce qui permet de projeter l'eau
plus loin, avec la même puissance.

Les réponses que les rhéologues
apportent à différents problèmes

sont parfois un peu étranges.

Vous avez peut-être vu
dans des bâtiments publics -

je ne pense pas ici mais,
des bâtiments publics récents -

des grandes colonnes
juste devant les sorties de secours.

On peut se dire que c'est un peu étrange
mais les rhéologues ont montré

qu'en cas de mouvements de foule,
ces colonnes ont tendance à réduire

les problèmes d'encombrement
et les embouteillages à la sortie.

Donc en fait,

si on attend suffisamment longtemps,

tout s'écoule.

C'est la devise de la rhéologie.

Même des matériaux sur lesquels on marche

et qu'on a tendance
à considérer comme solides,

même ces matériaux-là vont s'écouler.

Si on prend un glacier, par exemple,
sur plusieurs dizaines d'années -

et c'est ce que font
certains scientifiques

en observant les glaciers
avec des caméras de timelapse -

on verra l'écoulement
de la glace dans la vallée.

Et si on avait le loisir d'attendre
des millions d'années,

on verrait la même chose
se produire sur les montagnes,

et on verrait que les pics et les vallées

sont comme les crêtes et les creux
d'une mer toujours en mouvement.

Bon, très bien !

Et maintenant, vous allez
peut-être reposer la question

« Mais, les chats,
sont-ils liquides ou pas ? »

Alors, mon conseil,

c'est attendez un peu avant de donner
votre réponse définitive. (Rires)

Merci.

(Applaudissements)