Une épidémie de "beautéïte aiguë" | Renee Engeln | TEDxUConn

Renee Engeln a donné un surnom à l'obsession des femmes pour leur beauté : la "beautéïte aiguë". Elle propose des moyens pour poser un diagnostic sur la situation.

Le thème d'aujourd'hui est le futur.

Je voudrais vous parler d'une épidémie

et de ce qu'on peut faire pour l'enrayer.

Mais je vais commencer
par parler du passé.

Il y a 15 ans, j'étais
une jeune diplômée ambitieuse,

et je donnais beaucoup d'heures de cours.

J'adorais mes étudiants.

J'apprenais à bien les connaître.

Plus j'écoutais mes étudiantes,

plus j'étais troublée
par quelque chose d'étrange.

Ces jeunes femmes
intelligentes et talentueuses

passaient un temps effrayant
à penser, à parler,

et à vouloir changer
leur apparence physique.

Elles voulaient tant se sentir belles.

Certes, nos perceptions de la beauté
sont complexes.

Elles ont de profondes racines
dans l'évolution.

D'un point de vue scientifique,

la beauté n'est pas seulement
désirable,

elle est rare aussi.

Ce qui m'a frappé,

ce n'est pas tant que ces femmes
souhaitaient se sentir belles

ou qu'elles ne se sentaient pas belles
tout le temps.

Ce qui m'a frappée,

c'est leur recherche de la beauté

qui semblaient, en tout cas parfois,
écarter, supplanter

tous leurs autres objectifs et intérêts.

Ces jeunes femmes,
à l'aube de leur vie d'adulte,

étaient anxieuses.

Elles s'inquiétaient d'être trop grosses.

Elles s'inquiétaient
de leur peau pas nette.

Elles angoissaient, à l'âge de 20 ans,
de leurs premières rides,

de ne pas avoir la même ligne

que les mannequins
dans "Sports Illustrated",

ou que les anges de Victoria's Secret.

Elles s'inquiétaient de leur cellulite,

de ne pas avoir une taille 28,

et moi, je m'inquiétais pour elles.

Alors, je suis allée parler à mon tuteur

et je lui ai annoncé que j'avais une idée,

et que j'allais
y consacrer mes recherches.

C'était mon truc.

J'allais étudier
comment des images telles celles-ci

peuvent influencer les femmes.

Elle m'a répondu : « Non, oublie-ça.

Pas besoin d'étudier ça »
me dit-elle,

« parce que les femmes intelligentes
sont plus malignes que ça.

Elles sont trop malignes
pour se laisser influencer

par des images véhiculées par les média. »

J'ai répondu que c'était
une question empirique.

Suite aux recherches que j'ai menées,

je dois dire qu'elle avait un peu raison.

Les femmes sont plus intelligentes que ça.

Voici une publicité utilisée
dans une de mes enquêtes.

Je vais vous montrer les réponses
de quelques participantes.

Les femmes savent que les femmes
qui apparaissent dans les média

sont souvent anormalement minces,

qu'elles ont probablement
des troubles de l'alimentation.

Elles savent que les femmes
dans ces images

ne sont pas représentatives
de la population féminine.

Elles comprennent
qu'il s'agit d'aberrations statistiques.

Et elles savent aussi

que dans le vrai monde,

personne, vraiment personne
n'a un tel corps.

Ça, c'est la bonne nouvelle:
les femmes sont malignes.

Elles connaissent
les troubles de l'alimentation,

elles connaissent Photoshop.

Et c'est super!

Mais il y a une mauvaise nouvelle:

Ça ne sert à rien.
Elles n'en ont rien à faire.

Savoir n'est pas suffisant.

La même femme qui dit, par exemple :

« Elle est trop mince, ça sonne faux.
On voit même ses côtes »,

ça me rassure de l'entendre
jusqu'à ce qu'elle continue :

« Je ne suis pas aussi mince.

Est-ce que je devrais suivre
un régime amaigrissant et bronzer,

quitte à mettre ma santé en danger ?

J'ai envie de lui ressembler.

Si je pouvais être mannequin.

La vue de cette photo me coupera
peut-être l'appétit. »

Ce n'était pas mon objectif
d'entendre de tels propos.

Mais bon, on a persévéré.

Ce n'est pas une erreur d'analyse
des informations,

ni dans un manque d'intelligence.

Et ce n'est pas faute d'être au courant.

C'est la "beautéïte aiguë",

ce dont je vais vous parler aujourd'hui.

Est-ce que seules les femmes
en sont atteintes ?

Pas du tout. Elle touche les hommes aussi.

Mais les femmes sont plus susceptibles
de haïr leur corps.

Elles dépensent plus d'argent
et de temps pour leur beauté.

Elles ont 10 fois plus de risque
d'être anorexique ou boulimique.

Les femmes sont plus sujettes

aux commentaires
sur leur apparence physique

de la part de leurs amis,
de leur partenaire,

parfois même de la part
de parfaits inconnus.

En 2012, aux États-Unis,
il y a eu un peu plus

d'un million et demi d'opérations
de chirurgie cosmétique.

90% des opérés étaient des femmes.

Je vais donc me concentrer sur les femmes.

Quels sont les symptômes
de la "beautéïte aiguë"?

Je détecte cette pathologie

quand des femmes, des étudiantes,

pas des mannequins,

me disent savoir précisément comment poser

quand quelqu'un sort un appareil photo.

Mes étudiantes ont un truc,
que je vais vous montrer :

De côté, la tête vers le bas et penchée,

la partie fine du bras.

Vous gagnez quelques points
supplémentaires ainsi.

Vous avez compris?

Voici une photo qu'une de mes étudiantes

a gentiment accepté
de me laisser utiliser.

En voici deux autres
qui prennent la pose par plaisanterie

à leur bal de fin d'étude.

C'est omniprésent.

Qu'y a-t-il de mal à vouloir
se montrer avantageusement en photo ?

Rien...

... mais posons-nous la question de savoir

comment nous en sommes arrivées

à un point où le temps
et l'énergie des femmes

sont gaspillés dans des préoccupations

propres aux mannequins professionnels
et aux actrices.

Plus grave,
qu'est-ce qui arrive aux femmes

lorsque leur énergie est
tant focalisée sur leur apparence ?

La beauté physique est constituée
d'un nombre de caractéristiques.

Mais pour les femmes,

il y en a une qui surpasse
toutes les autres en importance.

Vous devinez laquelle?

Le poids évidemment. La taille du corps.

Il y a une enquête statistique

qui revient souvent dans les conversations

sur l'obsession des femmes
sur leur taille.

L'enquête a en fait été réalisée
par le magazine "Esquire" en 1994.

Mais elle a attiré beaucoup d'intérêt
parce que, selon celle-ci,

54% des femmes interrogées
affirment préférer

être renversée par un camion
plutôt que d'être grosse.

Je précise bien que "Esquire"

ne fait pas partie
du matériel scientifique sérieux

auquel je suis habituée.

Mais les réactions à ces statistiques
me fascinent.

J'en ai parlé à un de mes cours :
J'ai dit :

« 54% des femmes préfèrent
être renversées par un camion

plutôt que d'être grosse. »

Je pensais découvrir de l'indignation.

Mais au lieu de voir de l'horreur
dans le regard de mes étudiantes,

j'ai été submergée de questions :

« Un camion grand comment ? »
(Rires)

« Quel sorte de camion ? »

« A quelle vitesse est-ce qu'il roule ? »
(rires)

« Ça fait mal comment exactement ? »
(rires)

C'est une bonne question.

Je crois aussi
qu'être renversée par un camion,

ça fait mal.

Mais il y a autre chose qui fait mal :

et c'est vivre dans une culture
qui vous bombarde

avec trois messages, continuellement :

Premièrement :
la beauté est la chose la plus importante,

la plus puissante
pour une jeune femme et une femme.

Deuxièmement, la beauté ressemble à ça.

Et enfin, et ça peut être implicite,
véhiculé par déduction :

tu ne ressembles pas à ça.

Il n'est donc pas surprenant que,
dans les laboratoires,

exposer des femmes à de telles images,

même quelques minutes,

augmente leurs sentiments

de dépression et de honte,

et réduise l'estime de soi,
le sentiment de bien-être.

C'est la "beautéïte aiguë".

L'exposition excessive à ces images

fausse complètement
notre sensation de la réalité,

de ce qui est possible
en matière de beauté.

Au lieu de regarder ces images
pour ce qu'elles sont,

des cas extrêmement rares,

on finit par les considérer
comme typique, normale.

Si vous regardez autour de vous,

vous voyez que les hommes et les femmes

deviennent plus gros,
mais le corps idéal des femmes

devient de plus en plus mince.

La distance entre le corps de la femme

et celui qu'elle rêve d'avoir
est de plus en plus grande.

Ce n'est pas un petit fossé.

C'est un gouffre béant.

En observant ce gouffre,

on découvre la "beautéïte aiguë".

Les psychologues évolutionnistes
voient dans de telles images

une ressemblance avec le sucre.

Dans notre époque moderne,
nous en mangeons trop.

Dans des proportions trop importantes.

Notre cerveau ne sait pas quoi en faire.

Ce n'est pas bon pour nous.
Ça nous donne le message

que c'est la norme,
même si ça ne l'est pas.

Ça endort notre sensation de la réalité,

et ça nous rend malade.

Quels sont les autres symptômes

dans notre culture
de la "beautéïte aiguë" ?

Regardons les sources
d'informations en ligne.

Par exemple,
le "Huffington Post" d'aujourd'hui.

Il couvre des sujets comme les crimes,

la politique, le monde et l'éducation.

Et comme vous le savez sans doute,

il couvre aussi
d'autres sujets très importants,

comme le look de femmes célèbres,
leurs vêtements,

si elles ont grossi
ou comment elles ont maigri.

Tout ça le même jour,

sur la Une du Huffington Post.

En voici la capture d'écran.

La "beautéïte aiguë" apparait

quand les femmes passent tant de temps

à s'inquiéter non pas de leurs études,

ni de leurs objectifs professionnels

ou leur famille et leurs relations,

ni de la situation économique,
l'environnement ou le monde,

parce qu'elles sont obnubilées,

angoissées par leurs objectifs
de perte de poids,

leurs soins pour la peau,
l'épaisseur de leurs bras,

leurs abdos et leurs cuisses.

Comment en est-on arrivé là ?

Selon un enchainement d'idées,

appelé la théorie de la chosification,

ça fonctionne ainsi :

Les femmes vivent dans un monde
où on leur enseigne

que leur principale forme
de monnaie d'échange est leur apparence.

Impossible d'y échapper.

Dans la rue, les gens font
des commentaires sur votre apparence,

les publicistes vous disent
comment être plus belle,

les programmes télé, même les infos,

se moquent des femmes

qui ne répondent pas aux canons de beauté.

Les gens observent notre apparence
de manière si chronique

qu'avec le temps,
nous intériorisons cette perspective,

jusqu'à devenir notre propre observateur.

Au lieu de voyager, et découvrir le monde,

nous passons notre temps à imaginer

quelle image nous projetons.

Je suis bien coiffée ?
Mon front brille-t-il ?

Est-ce que je me tiens droite ?

Est-ce que je rentre mon ventre ?

Est-ce que je souris comme il faut ?

Ce jean ne me grossit-il pas ?

J'ai des poignées d'amour ?
Mes bras sont-ils minces ?

Est-ce que j'ai l'air bien ?

Vous voyez ?
On a intériorisé cette notion

que notre corps est toujours, toujours,
exposé au regard des autres,

qu'il est évalué, et que donc,
il faut le tenir à l'oeil.

Les psychologues nous ont appris
il y a longtemps

que nos ressources cognitives
sont limitées.

Comme je le répète souvent
à mes étudiants,

en dépit de leurs protestations,

il est impossible d'être sur Facebook
et de prêter attention au cours

en même temps.
(Rire)

De même, on ne peut pas non plus faire

un monitoring continu
de notre apparence physique,

et être engagé pleinement avec le monde.

C'est la pire conséquence
de la "beautéïte aiguë".

Quand on a cette maladie,

impossible de s'engager avec le monde

parce qu'il y a un miroir
qui vous en sépare.

Ce miroir voyage partout avec vous.

Vous ne pouvez plus vous en défaire.

C'est à cause de la "beautéïte aiguë"

que les femmes deviennent auto-objectives,

que les jeunes filles
veulent devenir sexy.

J'ai pris la parole l'automne dernier

à une conférence sur les images
dans les média.

Une jeune femme m'a posé une question :

« La beauté n'est-elle pas
notre pouvoir ?

Bon. Certes, si les femmes peuvent
obtenir des choses,

des choses de valeurs, dans notre culture,

de par la force de leur beauté,

ne devrions-nous pas accueillir
cette forme de pouvoir

exclusivement disponible aux femmes ? »

Je comprends cette jeune femme.
C'est vrai.

Je comprends sa remarque.

Mais quel sorte de pouvoir,
de vrai pouvoir,

est aussi éphémère que la beauté ?

Quelle sorte de pouvoir arrive
à échéance à 30 ans,

40 ans pour les plus chanceuses,
ou les femmes célèbres ?

Quel type de pouvoir est
inversement proportionnel

à l'accomplissement de la sagesse
et de l'expérience de vie ?

Je le répète,
il n'y a rien de mal dans la beauté.

Nos cerveaux y sont sensibles.

On sait quand on la voit.

On l'analyse en quelques millisecondes.

Le désir d'être belle,
et vouloir être désirée,

ne sont pas des sentiments

que l'on peut exclure
complètement de notre esprit.

Ce n'est pas vouloir être belle
qui est le problème.

Le problème survient

quand toutes les jeunes filles
et toutes les femmes le souhaitent.

J'aimerais que les jeunes femmes
et les femmes soient ainsi.

J'aimerais qu'elles soient
bien davantage que "hot"

Comment faire pour empêcher
la beautéïte aiguë de progresser ?

Voici quelques idées :

d'abord, investissez moins dans la beauté,

et choisissez d'investir
dans des choses qui perdurent,

des choses pour lesquelles
on ne doit pas se battre

pour les conserver
quand on devient plus âgée.

Si des émissions de télé comme celle-ci

vous font réfléchir davantage
à votre apparence,

arrêtez de les regarder.

Arrêtez de lire

des magazines qui vous donne
l'obsession d'un poids idéal,

un poids inaccessible à aucune femme
normalement constituée.

Essayez de ne pas envisager votre corps

comme une collection de parties

soumises à l'examen d'autrui.

Pensez à votre corps comme un tout, uni,

un objet dédié à l'exploration du monde.

Arrêtez de vous faire du souci

à propos de la taille de vos cuisses,

et pensez plutôt à leur force,

parce que ce sont vos jambes
qui vous portent

et qui vous permettent
de découvrir le monde.

Arrêtez de parler de vos bras

comme de choses malades.

Ce sont ces mêmes bras

qui vous permettent de rapprocher de vous

les personnes que vous aimez.

Comme le dit cette publicité
contre l'anorexie,

ne permettez pas que les gens
vous réduisent à un croquis.

Vous valez davantage que ceci.

Votre corps n'est pas conçu
pour être regardé,

mais pour faire des choses.

Une autre chose à envisager,

un peu comme les parents limitent

le temps de télé à leurs enfants,

évitez de vous observer
dans le miroir trop longtemps.

Et comme le thème aujourd'hui
est le futur,

voici un moyen direct
d'influencer celui-ci

et de mettre en rémission
la beautéïte aiguë.

Arrêtez de dire aux petites filles
qu'elles sont mignonnes.

Chaque fois -
ça semble contre intuitif, n'est-ce-pas ?

Ne leur dites pas non plus
qu'elles sont moches !

(Rires)

Surtout pas.

Mais chaque fois que vous aurez envie

de faire un compliment
sur l'apparence d'une petite fille,

privilégiez un compliment
qui porte sur ses autres qualités.

Un peu d'aide ?
Voici quelques idées :

Vous pouvez la complimenter

parce qu'elle est maligne,
courageuse, généreuse,

persévérante, gentille, ou audacieuse.

En agissant ainsi,

vous sapez le système
qui enseigne aux petites filles

que leur meilleur pari
pour la réussite sociale

réside dans la recherche de leur beauté.

Essayez d'éduquer vos filles

afin qu'elles n'envisagent leur apparence

que comme un côté anecdotique

de leur caractère et leur courage.

Vous pouvez faire changer le débat.

Nous n'habiterons jamais un monde

où la beauté n'a pas d'importance.

Nos cerveaux ne sont pas
prévus pour ça.

Mais nous pouvons vivre dans un monde

au sein duquel la beauté
est subordonnée

aux autres caractéristiques

de la personnalité de chacun.

En fait, en modifiant un petit peu
notre manière de penser,

de parler, et de communiquer
avec les autres,

nous pouvons préparer le chemin
pour un futur plus beau.

Merci.

(Applaudissements)