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- Bonjour, mon nom c'est Victoria,
- Et moi, c'est Héloïse.
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et bienvenue à Une carrière, Une histoire,
Une discussion avec Rhodnie Désir.
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Ceci est une séance d'apprentissage
pour le projet Ballet Forward
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qui est un projet qui rassemble
environ 30 étudiants
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des cinq grandes écoles
de ballet professionnel au Canada.
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C'est un projet qui nous permet
d'aborder les questions sur l'équité,
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la réconciliation et le racisme
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dirigés vers les noirs
dans le monde du ballet,
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mais plus important aussi,
de trouver des moyens
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pour combattre ces enjeux,
ces enjeux, excusez-moi.
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Nous avons comme but
de rendre le monde du ballet
-
et aussi le monde des arts
plus inclusif et accessible
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à toute la population canadienne.
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Donc aujourd'hui, on a la chance
-
et vraiment l'immense honneur
de recevoir Rhodnie Désir.
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Donc, madame Désir,
c'est une chorégraphe documentaire,
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danseuse et Cheffe de création
avec RD Créations, sa propre compagnie.
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Elle a créé une trentaine de créations
et a récemment travaillé avec Danse Danse.
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Certains de ses projets lui ont valu
deux prix de la danse à Montréal,
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soit le prix Envol
et le Grand Prix de la danse.
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La signature chorégraphique de Rhodnie
est liée à ses racines haïtiennes,
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ainsi que dans le reste des Caraïbes,
en Afrique et en Afrique centrale,
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et en Afrique subsaharienne.
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C'est un style qu'on pourrait appeler
comme afro-contemporain.
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Rhodnie est une femme
incroyable et inspirante
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et surtout vraiment engagée
dans le milieu.
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Ce style lui a valu
une reconnaissance internationale.
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Merci infiniment Rhodnie
d'être avec nous aujourd'hui.
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Donc, je vais vous laisser la parole
-
pour nous expliquer un peu
votre carrière et tout.
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Merci, merci beaucoup
pour cette présentation.
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C'est vraiment un bonheur
d'être avec vous à la fois
-
parce que je peux me replonger
au moment où j'avais votre âge
-
et que je rêvais
de faire carrière dans le milieu.
-
Comment résumer ma carrière?
-
Je pense que c'est important
de ramener le fait que moi j'ai grandi,
-
j'ai dansé dès l'âge de trois ans
-
et ma formation première
était le ballet classique.
-
Et par la suite, j'ai voulu aller
dans le milieu des arts,
-
mais bien sûr,
venant d'une famille haïtienne,
-
la compréhension et l'explication étaient,
-
on veut être sûr que tu vas te débrouiller
dans la vie et dans les arts,
-
peut-être que c'est pas par là
que le chemin va se faire.
-
C'était comme la conception à l'époque.
-
Donc, j'ai été me chercher une formation
-
en parallèle de ma formation
que je poursuivais en danse.
-
Qui veut dire que j'accomplisais
deux diplômes en même temps,
-
un en communication marketing,
-
puis un autre en danse
à l'époque classique,
-
mais en même temps,
j'ai tourné un peu plus ma pratique
-
vers les danses afro-contemporaines
comme vous l'avez aussi bien expliqué.
-
Ma carrière,
je la résumerais comme étant
-
des milestones, des jalons
-
où ce que je mesure constamment
où est-ce que je suis rendue,
-
puis à quoi moi je peux servir,
-
et à quoi ma danse peut servir,
et à quoi l'art peut servir.
-
Et j'aime dire que aujourd'hui,
ce que je fais,
-
c'est ce qu'on appelle
la « chorégraphie documentaire »
-
qu'on pourra parler
un peu plus longuement.
-
C'est une méthodologie
que j'ai voulu développer
-
pour répondre à l'ambition
de ce que j'avais envie de développer.
-
Mais peut-être que dans cinq ans,
-
la danse va me servir
à réfléchir à de l'architecture.
-
Puis peut-être que dans 10 ans,
-
ça va me servir à réfléchir
-
au développement
d'un nouveau pôle culturel.
-
Je vois la danse comme étant
un élément de carrière,
-
comme un outil pour ouvrir
des nouvelles portes.
-
Donc, c'est un peu comme ça
que je résumerais
-
ma vision de ma carrière.
-
Donc, mais comme vous l'avez mentionné,
-
vous avez dit que vous êtes
chorégraphe documentaire.
-
En fait, et moi je sais pas c'est quoi,
-
mais est-ce que vous pouvez
expliquer un peu
-
qu'est-ce que ça veut dire ?
-
Vous avez aussi dit
que vous étiez Cheffe de Créations
-
la dernière fois qu'on s'est parlé,
-
donc c'est comme deux choses
que je voudrais savoir.
-
Oui en fait, déjà ce que je peux dire,
c'est que ce que je fais en ce moment là,
-
c'est l'équivalent de ce que je faisais
quand j'avais l'âge de sept ans.
-
Quand j'étais jeune, je vivais à Laval,
ça, c'est dans une communauté
-
pour tous les gens qui sont
en dehors de Montréal là,
-
c'est pas très loin
de la ville de Montréal.
-
Et donc moi, je m'intéressais
tout simplement à mes voisins, aux humains
-
puis, je voulais comprendre
comment l'humain fonctionne.
-
Donc, il y en a qui vont dire
que c'est une démarche journalistique,
-
il y en a qui vont dire
que c'est une démarche anthropologique.
-
Mais dans tout ça, moi je voulais juste
comprendre comment l'humain fonctionne.
-
Puis, j'ai réalisé que la danse
et le fait de poser des questions
-
quand on crée, quand on veut créer
-
nous permet d'arriver
à des fois à des hypothèses.
-
Donc la chorégraphie documentaire,
c'est quoi ?
-
Ça se fait en, je pourrais résumer ça
en quatre grandes étapes.
-
J'ai une idée qui vient
souvent d'un défi social.
-
Par exemple,
-
si je prends la situation
actuellement de déportation
-
qui a eu lieu aux États-Unis,
-
c'est un fléau, c'est un chaos,
-
et puis, ça soulève beaucoup de points
d'interrogation et d'injustices,
-
d'iniquité dans le monde.
-
Donc moi par rapport à ça,
-
j'ai le choix de me fâcher
derrière mon écran ou de me dire
-
et si j'interviewais différents
types de pensées
-
pour mieux comprendre
qu'est-ce qui se passe,
-
puis peut-être que mon art
pourrait réussir
-
à amener une vision,
-
une hypothèse par rapport
à qu'est-ce qui se passe.
-
Donc, je commence par faire des entrevues.
-
J'ai ma question,
qu'est-ce qui me dérange?
-
Qu'est-ce qui me donne mal au ventre?
-
Puis, qu'est-ce qui fait en sorte
que j'ai envie de crier, d'hurler,
-
puis que je trouve injuste?
-
Après ça, je me dis
qui je peux rencontrer?
-
Et que là, je m'en vais rencontrer
-
des spécialistes dans un domaine,
par exemple,
-
je prends la thématique,
ça pourrait être des sociologues,
-
des politiciens, des travailleurs sociaux,
-
des organismes d'accueil
de personnes immigrantes
-
ou des personnes qui sont reliées
aux communautés qui sont déportées.
-
Ça pourrait être des familles.
-
Ça pourrait être les gens eux-mêmes
qui sont déportés,
-
qui sont en transfert,
-
après des policiers, des policières.
-
Puis à partir de là,
moi, ça me permet d'avoir
-
mon sac à dos d'information.
-
Puis mon sac à dos d'information,
il y a plein d'outils dedans.
-
Puis ces outils-là,
quand je les brasse dans mon sac,
-
je peux remettre une partie de ça
-
à des musiciens,
des musiciennes qui diraient,
-
je pense que j'entends un rythme.
-
Puis ce rythme-là,
-
je pense que ça pourrait m'amener
vers tel genre de gestuelles,
-
des gestuelles plus circulaires
-
ou des gestuelles plus de poids,
de physicalité, d'aplomb,
-
des mouvements plus tranchants
-
parce que quelqu'un m'a dit ça va vite,
-
je suis dérouté.
-
Donc, l'image que j'ai de ces mots-là,
-
c'est tranchant, physicalité,
-
poids, taux de voltige,
-
écoulement par terre, bref.
-
Donc, je pars de mon idée,
je pars de la question,
-
j'amène ça dans les témoins,
les spécialistes,
-
les spécialistes sont l'humain.
-
Les témoignages m'emmènent
vers d'autres créateurs, créatrices,
-
concepteurs, conceptrices.
-
J'amène ça aux interprètes.
-
Puis pendant tout ça,
je compose aussi des chants.
-
Donc, je compose des chants
en langage inventé.
-
Ce que j'aime dire, c'est un langage,
c'est une langue que je ne parle pas,
-
mais que je parle secrètement.
-
Et après ça,
-
j'arrive à la phase de l'œuvre.
-
Cette œuvre-là, c'est une hypothèse
que je propose aux citoyens, citoyennes
-
qui deviennent mon public.
-
Donc, la chorégraphie documentaire
nous permet
-
de préserver les mémoires des peuples,
-
nous permet d'escaver
-
les défis sociaux à partir de l'oralité.
-
Puis, je reviens dans le fond
-
à un de mes grands amours
qui est l'oralité
-
à travers les époques,
-
la tradition orale qui est de se parler,
puis de raconter des histoires.
-
Puis je t'ai dit quelque chose,
garde-le en secret,
-
ça a traversé les époques.
-
Je pense que ça va battre
le AI longtemps.
-
Donc, ça fait en sorte
que moi je m'appuie là-dessus,
-
puis après ça,
je peux développer mon œuvre
-
et c'est ce que j'ai fait au travers
de la plupart de mes œuvres,
-
donc, ça m'a amené à me connecter
avec des spécialistes
-
scientifiques en sciences sociales,
anthropologie, histoire,
-
ethnomusicologie,
ethnologie et j'en passe.
-
À me connecter à des spécialistes
en l'environnement
-
par rapport aux changements climatiques
comme on a demandé.
-
Ça m'a amené à me connecter
à des spécialistes comme en ce moment,
-
ça va être la théologie,
[l'anthologie] astrophysique.
-
Donc là, ça, comment est-ce que le corps
le déploie en chorégraphie documentaire?
-
C'est d'être à l'écoute,
-
puis d'essayer de mettre son corps
à disposition avec son savoir.
-
C'est tout ce que je peux dire.
-
Donc voilà, là j'ai parlé beaucoup,
-
mais en gros,
c'est ça la chorégraphie documentaire,
-
je ne sais pas si c'est clair.
-
J'ai vu des vidéos vous avez fait
une chorégraphie sur le cœur.
-
Oui.
-
J'avais trouvé ça vraiment beau,
-
mais je pense ça,
c'est de la chorégraphie documentaire
-
si vous avez vraiment représenté
pas le coeur dans le genre comme ça
-
mais là vraiment,
le cœur humain en mouvement.
-
J'ai vu des vidéos,
mais j'ai trouvé ça vraiment beau.
-
Mais ce qui est vraiment intéressant.
-
En fait, ce que je trouve fascinant
avec les chorégraphies documentaires,
-
puis pour de vrai,
je pourrais faire ça toute ma vie.
-
C'est la chose que je me dis.
-
Je peux avoir 90 ans,
-
puis me demander encore
-
comment on va faire
pour expliquer à des gens,
-
des défis de jeunes
-
qui ne trouvent pas
leurs repères par exemple.
-
Ou un enfant de cinq ans
qui vit la malnutrition
-
mais qui doit quand même aller à l'école,
-
son histoire de résilience,
comment on la raconte.
-
Donc, ce qui est intéressant
avec l'histoire du cœur,
-
[la symphonie] de cœur,
-
c'est que moi, je me suis toujours dit,
je vais jamais créer une pièce sur l'amour
-
parce que je pense pas
que j'ai grand-chose à dire,
-
puis, ça m'épate pas tant que ça
comme thématique.
-
Pas parce que j'aime pas
l'amour en lui-même,
-
mais parce que je ne voyais pas,
-
il était où le nœud
que j'avais envie d'adresser.
-
Et quand je me suis intéressée
aux maladies cardiovasculaires
-
et aux histoires de résilience
que les gens vivent
-
et comment dans le corps, le cœur
-
et tout le système cardiovasculaire
-
qui est directement relié
à la danse fonctionne.
-
Et en rentrant
dans des salles d'opération,
-
puis en voyant des cœurs ouverts,
-
puis en voyant le système qui bouge,
-
puis en voyant comment les les équipes
dans les salles d'opération fonctionnent,
-
c'est des chorégraphies sous nos yeux.
-
Je suis sortie de là
en ayant plein de matières
-
pour ensuite de se diriger
également avec la cheffe d'orchestre
-
des orientations pour les orchestres
-
en disant, là ils vont jouer
avec plus d'aplomb
-
parce que dans la salle
quand les instruments tombent,
-
j'ai besoin qu'on crée un vrai chaos
pour que ça soit placé.
-
J'ai pu retracer
la transplantation cardiaque,
-
c'est quoi vraiment le vide
-
et j'ai pu dire aux musiciens,
-
ça fait peut-être 40 ans que vous jouez
la même chose super bien,
-
mais là j'ai besoin que vous fassiez
comme si vous ne savez plus comment jouer
-
parce que la transplantation cardiaque,
-
c'est ça, comment on te met
un nouveau cœur dans ton corps,
-
ton corps déraille,
-
et puis, tu as beau avoir
la meilleure technique du monde,
-
faut que tu enlèves tout ça d'un coup,
-
puis tu repars à zéro.
-
Donc ça, c'était un défi
aussi pour les musiciens.
-
C'est que la chorégraphie documentaire
en d'autres mots
-
pour arrêter de parler de ça,
mais pas pour parler longtemps,
-
c'est vraiment un outil qui nous permet
de mieux mettre à défi la danse,
-
de mieux mettre à défi
le pouvoir de l'art,
-
puis de mieux mettre à défi
-
où est-ce que l'humain se trouve
aujourd'hui dans la société.
-
C'est vraiment fascinant.
-
Oui, mais c'est clair
que vous êtes très présente
-
et involved avec tous
les problèmes sociaux.
-
Est-ce que vous personnellement,
il y a une raison ou il y a une histoire
-
que vous avez pour laquelle
vous êtes tellement intéressée
-
dans les problèmes qu'on a
dans notre société aujourd'hui,
-
quelque chose de personnel
-
qui a vraiment comme fait naître
cette envie de rechercher et de créer?
-
Oui, en fait, je pense
que je pourrais nommer qu'en 2014,
-
j'ai commencé la méthodologie
chorégraphée en 2015.
-
J'ai officiellement commencé
-
la méthodologie chorégraphique
documentaire.
-
En 2013, j'ai créé une pièce
qui s'appelle BOW'T
-
qui parle de migration, déportation.
-
Puis, je voulais faire
le pont mythologique
-
entre ces deux thématiques-là.
-
Et quand est venu le temps
de faire circuler l'œuvre BOW'T,
-
ici à Montréal, au Québec,
-
mon agente et moi on s'est butés
à des barrières systémiques
-
qui se traduisaient comment?
-
Par principalement,
c'était la danse que Rhodnie fait,
-
elle est très traditionnelle,
-
alors que j'ai jamais fait
de danse traditionnelle
-
dans mes œuvres créées.
-
J'ai pris des cours,
-
mais ça n'a rien à voir
avec ce que je présente.
-
Donc, j'ai réalisé qu'il y avait vraiment
un grand défi dans la compréhension,
-
puis il y avait beaucoup
de freins qui étaient mis
-
au-delà de l'analyse
de l'excellence de mon œuvre.
-
Est-ce qu'elle est excellente ou pas?
-
Puis la compréhension de c'est quoi
l'excellence d'une œuvre dans un langage
-
qui n'est pas en ballet classique
ou en danse contemporaine neurocentrique?
-
Comment la danse contemporaine,
elle est vulgarisée?
-
J'ai vu qu'il y avait des barrières,
-
qu'il y avait encore
beaucoup d'éducation à faire.
-
Donc, j'avais envie de quitter le milieu.
-
Je ne me voyais plus
du tout dans le milieu.
-
Il y a quand même une belle bouée
de sauvetage qui est arrivée,
-
que j'appelle comme une idée
-
de développer un projet
dans lequel j'avais démontré
-
à quel point les cultures africaines
et afro-descendantes
-
sont purement contemporaines.
-
Et même si elles sont nommées,
même si elles sont ancestrales,
-
elles sont contemporaines
-
parce qu'elles se conjuguent
directement avec les gens
-
dans le moment présent
qui la crée et qui la renouvelle.
-
Donc j'ai créé BOW'T TRAIL.
-
BOW'T TRAIL, c'est un parcours
de mémoire dans les Amériques
-
qui m'a emmené
sur sept territoires des Amériques
-
à recréer à chaque fois la même pièce.
-
Puis quand je dis recréer,
c'est que j'ai l'œuvre BOW'T.
-
Il y a comme les muses sur scène,
-
il y a mon corps, il y a un musicien,
-
puis il y a trois boîtes de bois.
-
Donc, ces trois boîtes de bois
m'ont suivie en Martinique, en Haïti,
-
au Brésil, en Nouvelle-Orléans,
au Mexique, à Halifax
-
et [Chojag] et Montréal.
-
Et donc j'ai pris la même œuvre,
puis je me suis dit
-
et si je me donnais 30 jours
pour la recréer de A à Z
-
avec les musiciens et musiciennes locaux.
-
Puis en même temps, je ne connais pas
les musiciens et musiciennes.
-
Je ne sais pas si on va s'entendre.
-
On parle même pas les mêmes langues,
je parlais pas portugais.
-
J'ai baragouiné quelque chose
pour essayer de dire :
-
« Est-ce qu'on peut développer ça,
voici mon idée au Brésil? »
-
Ils me disaient : « Reviens,
on sait pas quelle langue que tu parles.
-
Là, on a un show dans deux semaines,
puis on ne comprend pas,
-
mais de par ta gestuelle,
je pense qu'on se comprend. »
-
Donc, la danse m'a m'a ouvert des portes
-
finalement à parler des langues
que je ne parle pas,
-
puis à réussir à créer.
-
Puis au bout de 30 jours,
-
je présentais dans un lieu
de mémoire mon œuvre.
-
Et l'œuvre BOW'T qui est créée
dans chacun des pays
-
ne va jamais circuler,
pas dans ma vie, pas dans ma mort.
-
C'est déjà dans mon testament,
ça ne peut pas circuler.
-
La seule œuvre qui peut circuler,
c'est BOW'T TRAIL Retrospek
-
qui est l'œuvre en fait
où le territoire, c'est mon corps.
-
Et donc, en retraçant la mémoire
-
et l'histoire des peuples afro-descendants
dans les Amériques,
-
j'ai effectué des entrevues
-
avec des spécialistes
sur chacun des territoires.
-
Puis là, j'ai réalisé
que c'est vraiment trippant.
-
C'est dur de faire le BOW'T TRAIL,
mais il y a quelque chose de beau,
-
de croustillant dans le fait
de rencontrer des gens,
-
puis de rentrer directement au studio,
-
puis de créer à partir
de ces témoignages-là
-
et non pas de plonger
dans des livres d'histoire
-
qui encore une fois, l'histoire est mal
racontée dans les livres d'histoire
-
sur les questions africaines,
afro-descendantes,
-
du moins est en train d'être réécrite,
-
mais elle a malheureusement
été mal écrite.
-
Donc, qu'est-ce qui me pousse aujourd'hui
à continuer la chorégraphie documentaire?
-
Parce que je vois
que c'est un outil de changement social,
-
possible de changement social.
-
Qu'est-ce qui me pousse à créer
face aux injustices?
-
Moi, j'ai grandi dans une famille
où ce que la question du droit
-
était discutée à la table à manger.
-
Mes parents sont venus au Québec
durant l'époque de Duvalier,
-
Duvalier père.
-
Donc, c'est sûr que la radio haïtienne
-
et la radio québécoise,
-
et la télévision américaine étaient
ouvertes en même temps chez moi.
-
J'entendais les défis d'un peu partout
-
et mes parents nous emmenaient à parler
-
avec appelons des défis,
puis à essayer de les résoudre à la table.
-
C'est comme si on prenait
l'enjeu de la Colombie
-
puis on se disait,
ah on n'est pas d'accord
-
qu'est-ce qui se passe ?
-
Puis là, on on débattait à table,
-
donc, j'ai été entraînée à réfléchir
-
à comment en tant qu'être humain,
-
on a un rôle
dans les décisions qu'on prend,
-
mais également à être au fait
des iniquités sociales
-
que ce soit au niveau
-
de la hausse flagrante de l'itinérance
et de profils de gens
-
qui habituellement n'étaient pas reconnus
comme étant des personnes itinérantes,
-
mais qui du jour au lendemain
en raison de la situation des logements
-
se retrouvent dans cette iniquité.
-
Donc pour moi,
-
je repère rapidement
les situations d'iniquité
-
quand elles sont nommées,
-
même quand elles ne sont pas
nommées aussi.
-
Et je me suis toujours dit que l'art
est une arme extrêmement puissante
-
et que si je fais usage de cette arme-là,
-
il faut que ça soit pour faire chavirer
quelque chose qui a le même poids.
-
Ça, c'est ma devise à moi.
-
Ça ne veut pas dire que je ne vais pas
être amenée à créer des œuvres
-
pour le plaisir, mais je veux vraiment,
-
je veux qu'il y ait une cause
à laquelle je réponde.
-
Ça, c'est pour moi, c'est mon art.
-
Donc là, on veut comme un peu changer
de sujet si ça vous dérange pas
-
parce qu'en fait Ballet Forward,
c'est basé sur le racisme anti-noir,
-
donc le but du projet,
c'est d'ouvrir les mentalités et tout.
-
Puis je voulais savoir si le ballet
est ancré en Europe
-
sur des bases conservatrices
et traditionnelles il y a longtemps.
-
C'est qu'un ore qui peut discriminer
puis exclure beaucoup de communautés.
-
Puis est-ce que le racisme
est quelque chose,
-
si vous êtes à l'aise d'en parler,
-
c'est quelque chose
que vous avez déjà senti
-
ou vous avez déjà vécu
encore et toujours dans le milieu
-
et avant aussi bien sûr.
-
Je pense que la base,
-
il y a beaucoup de layers là-dedans.
-
Ce qu'il faut se rappeler,
c'est que le corps
-
est un des instruments
les plus magnifiques pour se rallier
-
et un des instruments les plus drastiques
et épouvantables pour nous discriminer.
-
Et étant dans un milieu,
-
donc la danse où ce que le corps,
c'est l'outil principal,
-
malheureusement, que ce soit en ballet
ou dans d'autres formes,
-
il y a le regard et la perception
-
qui deviennent un outil de mesure.
-
Donc, qu'est-ce que je perçois
de la capacité d'un corps
-
avant même qu'il bouge?
-
Est-ce que je sens
qu'il rentre dans les catégories
-
que ma pratique défend
ou ma pratique dit?
-
Je prends un exemple.
-
Quand j'avais 11 ans,
j'avais passé plusieurs auditions
-
parce que je voulais rentrer
dans un profil programme études
-
dans cette étude-là.
-
Donc à l'époque,
il y avait dans votre école
-
qui auparavant m'ont dit quel nom
ça portait l'école... supérieure.
-
Danse?
-
Non, il y avait un autre nom,
-
je vais trouver...
je ne sais plus le nom,
-
mais il semble qu'il y avait
le titre École supérieure de...
-
[Inaudible], bref.
-
Cette école, j'avais appliqué
comme la plupart des jeunes filles
-
qui appliquaient [derrière Laporte],
donc surtout des filles.
-
Puis j'avais appliqué aussi
à l'école [Laporte].
-
Et quand j'ai reçu,
-
c'est sûr que je voulais faire
partie de la première école
-
de laquelle j'avais appliqué.
-
Quand j'ai reçu ma lettre de refus,
-
ma lettre de refus
-
ne me disait pas juste
que j'avais eu un refus.
-
Elle analysait mon corps
selon des stéréotypes
-
de qu'est-ce que le ballet devrait avoir.
-
Et donc pour de vrai,
je pense que j'aurais dû garder ma lettre,
-
elle décortiquait mes muscles,
-
que mes muscles de jambes
étaient trop larges
-
par rapport à l'esthétisme
qui était souhaité,
-
que mes rondeurs ne répondaient pas
aux cas d'esthétique,
-
c'était mais d'une horreur,
ce que j'avais reçu,
-
et je suis convaincue qu'aujourd'hui,
c'est pas le genre de lettre qu'on envoie
-
parce que les époques ont évolué
-
et qu'il y a beaucoup d'éducation
qui a été faite
-
Mais cette lettre,
-
quand je l'ai ouverte,
moi j'attends la poste.
-
Je vois le facteur qui arrive,
-
j'ouvre ma lettre,
je suis comme toute excitée.
-
Puis, c'est une chape de plomb
-
qui est en train de sculpter
d'une nouvelle façon
-
qu'est-ce que moi
je devrais avoir comme corps.
-
C'est comme si on disait
aux jeunes personnes
-
qui veulent devenir
danseur ou danseuse,
-
prends un magazine, regarde ce corps-là,
-
puis rentre ton corps dedans.
-
Mais si tu ne fit pas, you're out.
-
Et étant dans un milieu
où ce que l'excellence,
-
mais surtout je dirais l'exigence,
-
l'acharnement qui peut être positif là,
-
à vouloir atteindre une perfection,
à se surdépasser.
-
Quand tu es très jeune
-
et puis que tu as déjà
été entraînée à ça,
-
quand tu reçois une lettre comme ça,
-
qui te dit, va sculpter
ton corps autrement.
-
Tu corresponds pas aux codes culturels
qu'on veut dans le ballet.
-
C'est même pas une question
de hauteur ou autre.
-
C'est vraiment ton corps,
il va jamais « fitter ».
-
Et je me rappelle avoir été
en miettes à ce moment-là.
-
Heureusement qu'il y avait Laporte
-
qui faisait ces auditions
pas très loin après,
-
puis que j'ai été sélectionnée,
-
mais je me rappelle encore
être assise pendant mon temps d'été
-
avec les autres personnes de ma classe,
puis qu'on se racontait
-
ce qu'on avait reçu
de cette école-là comme lettre.
-
Donc ça, je considère que c'était oui,
des actes de discrimination sélective
-
de par la physionomie culturelle
que je portais
-
et non pas son accomplissement
-
en termes de gestuelle, d'excellence,
-
son background d'apprentissage
du ballet classique.
-
Tu n'es pas sur un outil de mesure
-
comparable par rapport
à l'expérience d'apprentissage.
-
C'était basé purement sur de l'esthétique.
-
Et ça, pour moi,
-
ça a été un des grands freins que j'ai vu
-
parce que je ne me voyais pas,
-
alors que j'étais bien souvent
la seule personne noire dans mes classes.
-
Je ne voyais pas ces discriminations
-
jusqu'à ce moment-là
et par la suite au secondaire,
-
mais c'est certain que l'attribution
de certains rôles,
-
les grands rôles,
je n'y accédais pas nécessairement
-
parce que c'était assez rapide
qu'on écartait la possibilité.
-
Ce qui était aussi chavirant
malheureusement en ballet,
-
c'est que souvent ton corps
dans le corps de ballet,
-
là, on ne te le dit pas,
mais des fois ça peut être sournois.
-
Si on te prend puis qu'on te dit,
va de noveau au bout,
-
tu sais, va au bout.
-
Là, tu te dis,
-
première œuvre, je vais au bout,
deuxième œuvre, je vais au bout,
-
troisième œuvre, je vais au bout.
-
Toutes les œuvres,
je me mets toujours au bout
-
dans toutes les photos que je regarde,
j'ai été toujours mis au bout.
-
Qu'est-ce que je viens déranger
dans le corps de ballet?
-
Est-ce que c'est parce que
je viens de débalancer la photo ?
-
Ou est-ce que c'est vraiment
-
parce que mon rôle
devrait être à droite tout le temps?
-
Et tant on peut le voir facilement
-
pour même des photos officielles
d'autres domaines.
-
Donc pour moi, c'était comme la chose
-
qui venait tout le temps me soulever
un questionnement
-
notamment en ballet.
-
La question sur l'ouverture,
-
j'ai eu des conversations aussi,
sur l'ouverture dans le corps.
-
Ah mais tu sais dans le fond,
c'est correct,
-
est-ce que tu peux être
juste à ce niveau-là?
-
Puis, je me disais mais non,
je peux travailler mon extension,
-
c'est pas que je peux pas.
-
Donc, ce sont
-
des petites semences d'information
-
qui pendant que le piano joue,
puis qu'on entend « And one and two »,
-
puis [qu'on respire pour voir], etc.,
-
que cette information
aussi vient de se placer
-
au même moment
qu'un ajustement de posture.
-
Et ce qui se passe,
c'est que c'est sournois
-
mais ça vient malheureusement sculpter
-
qu'est-ce que toi,
tu as comme perception de ton corps,
-
là, tu veux faire
plus, plus, plus, plus, plus
-
que la personne devant toi
ou qui est derrière toi
-
dans l'exercice de la barre par exemple.
-
Donc ça, ce sont des petites choses
-
qui font en sorte que comme
d'autres personnes dans ma classe
-
qui sont passées par là,
-
j'ai toujours fait plus, plus, plus.
-
Puis même quand les classes terminaient,
-
je restais en classe,
puis je faisais plus, plus, plus
-
pour pouvoir répondre
non seulement à la note
-
qui a été donnée dans la classe
pour tout le monde,
-
répondre à mes propres notes à moi,
-
puis faire mieux parce que
faut que je fasse mieux.
-
Donc ce que ça amène,
c'est que tu n'es jamais à ta place.
-
Et je me rappellerai toujours,
-
j'ai eu une professeur un jour,
Marie-Rose Chama, à qui je parle encore
-
qui est venue me voir un jour
puis qui m'a dit Rhodnie,
-
faut que je te raconte
qu'est-ce que tu risques de vivre.
-
Et cette femme est d'origine libanaise,
-
puis, elle m'a pris à part,
-
puis, elle m'a dit :
« Là, tu vas vivre des barrières,
-
tu vas vivre du racisme dans le milieu,
-
puis, il y a différents marchés,
-
là, tu vas rentrer
dans des auditions bientôt.
-
Puis, je veux juste
te préparer tout de suite. »
-
Et cette femme-là, pour moi,
-
je ne comprenais pas à l'époque,
je me disais pourquoi elle me dit ça?
-
Mais non, je suis correcte.
-
Mais elle me préparait
à qu'est-ce que le ballet me présentait.
-
Et qu'est-ce qu'on ne me disait pas
à haute voix,
-
mais elle a eu le courage
de me le dire très clairement.
-
Et c'est par la suite que justement,
j'ai choisi d'autres formes artistiques
-
parce que moi, ça répondait
vraiment à ce que je voulais,
-
mais c'est certain que se faire dire :
-
« Là quand tu montes sur les pointes,
tu n'as pas une ligne parfaite
-
parce que on le sait,
ton corps est fait différent. »
-
Ce sont des petits ajustements,
-
mais comme on sait
que dans le ballet où la danse,
-
c'est des constants ajustements
-
qu'on veut tout le temps être
tellement sur la ligne en perfection
-
avec l'ensemble,
-
puis vraiment faire un grand corps
ou être soliste,
-
ça fait en sorte qu'on est mis à l'écart.
-
Donc voilà, ça c'est une longue histoire,
-
mais que je peux en raconter
plein d'autres comme ça.
-
Après d'avoir tout partagé avec nous ça,
-
j'ai une question et une question aussi
qui vient de [mes pairs] :
-
pour les gens qui sont,
-
je ne sais pas si dans la même situation,
-
mais qui partagent un sentiment
de rage ou de tristesse
-
ou de sentir qu'ils ne vont
jamais être à leur place,
-
avez-vous des avis
-
que ce soit des conseils,
-
des conseils comme je ne sais pas
-
si c'est plus dans le genre personnel
-
ou d'essayer de comprendre
le monde de la danse ?
-
Mais oui, juste des conseils à partager.
-
Je pense que la colère,
-
elle est valable dans ces moments-là.
-
Puis souvent, on va vouloir
parce qu'on apprend à être...
-
et je pense que dans le ballet, moi,
-
c'est qu'est-ce que
ça m'a appris entre autres ?
-
Puis après ça dans d'autres formes,
j'ai appris autre chose
-
mais tu sais la retenue, la politesse,
-
on ne dit pas trop,
-
on monte pas trop,
monte pas, monte pas, tu sais.
-
S'éduquer, c'est la meilleure des choses.
-
Il faut s'éduquer.
-
S'éduquer,
parler avec différentes générations.
-
Moi, j'ai parlé avec, et je parle encore,
j'ai encore des mentors
-
et j'arrêterai jamais d'avoir des mentors.
-
Puis oser cogner à la porte d'une personne
-
que tu sais même pas cette personne-là
a peut-être eu ce vécu-là,
-
mais te dirais, toi-là
comme il y a 10 ans,
-
puis il y a 20 ans, puis il y a 30 ans,
-
est-ce que ça se pourrait
que tu aurais vécu ça?
-
Puis, est-ce que tu pourrais m'en parler?
-
Partager,
-
ne jamais douter de son instinct.
-
Tu le sais
quand il y a une discrimination,
-
il y a pas de millions de chemins là.
-
Et souvent on te fait dire,
non voyons donc, t'exagère.
-
Et moi ce que j'ai appris,
-
c'est quand ton petit instinct te dit
que c'est une discrimination,
-
disons que 95 % du temps, c'est ça.
-
Et peut-être il y a eu un 5 %
où je me suis dit,
-
oui, j'avoue que ça peut-être,
que j'ai été un peu vite dans la chose.
-
Mais le fondement
d'une discrimination surtout sournoise,
-
sournoise étant,
on ne te le dit pas dans ton visage,
-
on ne te le dit pas directement,
-
mais ce sont dans les actions
que tu t'en rends compte.
-
Ça peut être à la fois
sur t'asseoir à une table
-
ou s'asseoir quelque part
puis la place se comble,
-
puis t'as plus de place,
donc là, tu sais plus trop où te placer.
-
Ça peut être dans l'attribution
de certains rôles.
-
Puis, moi ce que j'ai appris,
c'est de confronter intelligemment,
-
puis, c'est pas toujours facile,
c'est pas encore facile de le faire.
-
Mais la conversation,
-
une fois que tu t'es affirmée,
-
est souvent un outil redoutable.
-
Et d'oser questionner
sans chercher de réponse,
-
oser questionner l'adversaire je dirais
-
ou oser questionner la personne
ou les contextes.
-
Puis quand c'est une situation collective,
-
parce que ça arrive aussi
que ce soit collectif,
-
malheureusement,
c'est de faire stop sur le temps,
-
puis de dire : « On a besoin de se parler.
-
Puis là, vous avez besoin
d'ouvrir vos oreilles,
-
vous serez vraiment pas
content de ce que je vais dire.
-
Mais il va falloir qu'on fasse
un miroir de la situation.
-
Puis, vous n'aimerez
peut-être pas mon miroir,
-
vous serez peut-être pas content
ni même d'accord avec mon miroir,
-
mais j'attends pas une réponse
de vous aujourd'hui.
-
Je vous demande juste de comprendre
-
qu'il y a peut-être
un miroir quelconque. »
-
Puis c'est de prendre son courage,
puis de le présenter.
-
Puis des fois, ça fait son chemin
pour les personnes.
-
Il y a eu vraiment
de magnifiques histoires
-
de réconciliation, de rencontres,
-
de respect, d'excuses qu'ils t'ont faites
et ça j'y crois.
-
L'être humain,
tout comme les autres espèces,
-
est amené à s'adapter
et est amené à évoluer.
-
On n'est pas contraire aux autres espèces.
-
Après ça, il y a du monde qui sont durs.
-
Bon, mais tant que les choses
se font dans le respect,
-
puis des fois, c'est bon
de laisser passer du temps.
-
Et moi, j'ai laissé passer
sur certaines choses
-
et je restais sans dire un mot
pendant plusieurs années,
-
pas parce que je ne voulais pas dire mot,
-
pas parce que je dis pas
un mot devant les gens
-
que je ne fais rien en arrière.
-
Et je pense que le BOW'T TRAIL
en est un exemple.
-
Quand c'est sorti,
le web documentaire de 75 vidéos
-
qui m'ont dit
que j'en ai encore des vidéos
-
qui ne sont pas encore sorties
que j'ai juste hâte de sortir.
-
Quand Radio-Canada m'a annoncé
-
trois jours après que j'avais
accouché de mon petit
-
qui prenait un web documentaire,
-
la websérie et un moyen métrage,
-
je tenais mon enfant,
puis je disais à mon équipe :
-
« Est-ce que vous me laissez
un peu genre une semaine,
-
je viens d'accoucher. »
-
Puis, je m'attendais vraiment pas
à ce qu'on ait trois projets en même temps
-
qui sortent à radio Cannes.
-
Alors que j'avais vraiment peur
de ne pas être capable de sortir
-
tout ce que j'avais récolté
au travers des années
-
parce qu'il n'y avait
aucun diffuseur qui disait oui.
-
On se faisait dire non,
-
que ça n'allait pas intéresser les gens,
puis que c'est ça.
-
Donc,
-
je crois profondément
dans la conversation,
-
mais dans son temps.
-
Puis quand je dis dans son temps,
-
c'est que pas tout le monde
qui est rendu à converser.
-
Il ne faut pas se forcer soi à converser.
-
Puis même quand il y a
une situation de discrimination,
-
puis d'aller, on va s'asseoir,
on va parler.
-
Si tu n'es pas prêt, tu n'es pas prêt.
-
Puis, tu as le droit de pas être prêt.
-
Puis les discriminations,
c'est des scars dans l'âme.
-
Ça reste bien souvent pour la vie.
-
Et cette profondeur-là,
-
si c'est moindrement saisi par les gens,
-
ça va leur permettre de comprendre
pourquoi il n'y a pas de conversation,
-
pourquoi ça peut prendre
cinq ans, six ans, sept ans,
-
pourquoi il va y avoir une distance
-
et pourquoi rendu au moment de se parler,
ce sera le bon moment.
-
Donc se rencontrer,
se laisser du temps, s'éduquer,
-
lire, voir des documentaires,
parler avec des gens.
-
Je pense qu'on va être
dans nos dernières questions,
-
je vais parler encore
un peu de vos créations,
-
puis, on avait pensé tout à l'heure,
on avait dit,
-
comment est-ce que vous abordez
justement les racistes
-
et les enjeux comme ça
dans vos créations?
-
Je sais que vous nous avez expliqué
-
comment vous faisiez un peu
avec le la chorégraphie documentaire,
-
mais vraiment, on parle de racisme
-
et si vous en avez déjà fait une,
comment vous êtes basée,
-
est-ce que vous avez comme sur quoi,
-
est-ce que c'était sur votre passé,
sur des témoins?
-
Ce qui est intéressant
dans la chorégraphie documentaire,
-
c'est que c'est jamais à propos de moi.
-
Je peux partir d'un vécu,
-
je pense que comme
n'importe quelle personne,
-
on est biaisé sur un sujet
-
parce qu'on a un vécu.
-
Puis la beauté,
c'est que le parcours du BOW'T TRAIL
-
parce que mes œuvres parlent pas
toutes de racisme et de discrimination.
-
Même le BOW'T TRAIL, c'est un parcours,
-
oui qui parle de la traite négrière,
qui parle des discriminations,
-
mais qui met de l'avant
-
et les 15 musiciens avec qui
j'ai travaillés à travers le monde,
-
ça met de l'avant la force de résilience,
-
la force de recréation culturelle.
-
Je veux dire c'est quand même
assez fascinant qu'aujourd'hui,
-
aujourd'hui là, on est capable,
-
on est même pas capable en fait
de nommer tous les rythmes
-
et tous les mouvements musicaux du monde
-
qui existent basés sur les rythmiques
africaines, afro-descendantes
-
parce qu'au moment où on se parle,
-
il y en a plein d'autres
qui vont en train de se faire,
-
qu'on est même pas au courant.
-
Puis, je prends un exemple
quand j'étais au Brésil,
-
il y a ce qu'on appelle le Passinho.
-
Puis le Passinho,
c'est les jeunes des favelas
-
qui sont venus me parler de ça.
-
J'étais dans un musée qui s'appelle
-
El Museo de los Pretos Novas,
à Rio de Janeiro.
-
Ils étaient assis avec des chercheurs,
puis on parlait,
-
puis, je parlais de ma recherche.
-
Il y a une dame silencieuse
qui m'a dit, moi, je suis avocate,
-
je suis aussi danseuse, Carolina Perez,
-
j'étais la seule avocate noire
dans mon université,
-
puis, j'ai lancé un mouvement
-
qui permet aux jeunes de se mobiliser
plutôt que d'utiliser des armes.
-
Puis à l'époque, c'était chaque...
-
je pense que c'était chaque 30 minutes.
-
Oh mon Dieu, il faudrait
que je revoie la statistique.
-
Chaque 23 minutes,
il y a un jeune noir
-
qui meurt en raison
de racisme systémique au Brésil,
-
puis ça, c'était en 2016.
-
Donc cette situation-là,
-
elle m'a dit moi, j'ai des jeunes,
-
puis, ça se peut qu'il y en ait un
qui part un moment donné
-
parce que la police a décidé
autrement de sa vie.
-
Puis quand je suis arrivée au Brésil,
il y avait une manifestation de mères,
-
afro-descendants et autochtones
qui marchaient côte à côte
-
pour lutter contre
les discriminations raciales.
-
Quand on dit parler de racisme
dans ses œuvres,
-
pour moi, c'est plutôt de donner voix
à ces femmes qui ont marché dans la rue,
-
de donner voix à ces jeunes
qui m'ont parlé du Passinho,
-
qui me disent, nous on danse
à pieds nus dans la favela
-
pour dire qu'on existe encore.
-
Puis comment je leur ai donné
une voix dans l'œuvre,
-
j'étais tellement en larmes
quand ils m'ont raconté leurs histoires
-
que moi normalement, c'est un solo,
-
puis, je leur ai dit,
je ne peux pas danser un solo.
-
Je ne peux pas,
ça serait ne pas vous écouter.
-
Ce qui fait qu'à la moitié de mon œuvre
quand je vais ouvrir mon message,
-
parce que j'ai toujours un message
dans mon œuvre,
-
mais j'ai besoin
que vous débarquez de l'audience
-
puis que vous veniez sur scène
et que faites ce que vous voulez,
-
on n'est pas dans quelque chose
d'excellence, perfection,
-
on est dans l'excellence de dire
aux gens que vous existez,
-
puis ça se peut que vous ne soyez plus là.
-
J'aimerais que vous veniez
prendre parole dans mon œuvre,
-
puis, vous en faites ce que vous voulez,
ça vous appartient.
-
Donc pour moi, c'est ainsi que je parle.
-
C'est ainsi que je donne voix
-
parce que je fais des ponts
avec des réalités.
-
Puis ces jeunes-là, on s'est reparlé,
-
ils avaient les larmes aux yeux,
ils me disaient : « Rhodnie,
-
tu as compris notre réalité,
tu as compris ce qu'on vit. »
-
Puis pour moi, je suis contente parce que
j'ai pu montrer aux gens que j'existe,
-
mais on n'est pas dans applaudir une œuvre
parce qu'elle est belle ou pas.
-
On est dans des questions
de vie ou de mort.
-
Et c'est ça finalement,
le BOW'T TRAIL aussi.
-
Donc, le BOW'T TRAIL raconte ça.
-
Puis, comment je retrace ces images-là,
-
c'est dans la pesanteur
que ça réside dans mon corps.
-
Donc, quand je danse
BOW'T TRAIL Retrospek,
-
je vous mettrais même au défi d'apprendre
un extrait de BOW'T TRAIL Retrospek.
-
Tu as besoin de ressentir
les 140 témoignages dans ton corps
-
qui parlent en même temps,
-
puis un geste,
-
c'est 140 voix en même temps.
-
C'est ça le poids
de BOW'T TRAIL Retrospek.
-
C'est pour ça que je l'adore [ce soir].
-
Donc,
-
aborder les questions d'iniquité,
-
c'est accepter de mettre son corps
-
dans un four à Braun.
-
Comme ça, oui.
-
On est loin de l'esthétisme.
-
On enlève pas l'esthétisme.
-
Mais tu sais,
-
danser, ça va au-delà de se dire,
je veux atteindre ça.
-
Qu'est-ce que tu portes en toi
comme message tellement fort
-
qu'il faut absolument
que tu le passes à quelqu'un d'autre.
-
Moi, c'est c'est ça qui m'intéresse
dans mes œuvres.
-
Voilà, je m'arrête là.
-
- C'est super inspirant, merci beaucoup.
- Rhodnie, merci.
-
Merci beaucoup.
-
Juste dernière question
pour conclure un peu la discussion,
-
vous travaillez sur quoi en ce moment?
-
Des projets, des choses comme ça?
-
Oui donc en ce moment,
c'est vraiment mon beau bébé,
-
donc en ce moment, je mets à jour enfin
-
quelque chose que je veux
développer depuis 10 ans
-
qui est un laboratoire
chorégraphique documentaire
-
qui veut dire que RD Créations
-
ayant développé une expertise aujourd'hui
en chorégraphie documentaire,
-
on lance maintenant deux laboratoires
en même temps,
-
ça veut dire qu'on développe
nos œuvres en forme de prototype,
-
un peu comme des ingénieurs
qui font de la recherche développement.
-
Nous, on fait du prototypage d'œuvre
-
pour voir tout le potentiel
autour de l'œuvre
-
à la fois au niveau des partenaires,
des costumes, de la danse, d'éclairage.
-
Donc, on vient d'entrer
deux prototypes de création
-
pour nos deux sujets.
-
Le premier s'appelle SCÒ.
-
SCÒ aborde la question des scolioses.
-
Moi, j'ai une scoliose.
-
Et puis, quand on parle
de résistance en équité,
-
j'ai une scoliose,
puis j'ai failli me faire opérer.
-
Mais j'ai quand même continué de danser.
-
Donc, SCÒ aborde la question
-
de toutes ces torsions psychologiques
et physiologiques
-
que les jeunes filles adolescentes
ont à porter jusqu'à l'âge adulte.
-
Et puis, je dis jeune fille parce que
-
c'est principalement 90 % sinon plus
de jeunes filles qui portent.
-
Et ça va devenir en ce moment
une installation numérique
-
avec performance
et performance musicale.
-
Puis en fait, on travaille
également prochainement,
-
donc là, je commence là en ce moment
ma recherche par rapport à KÒSA.
-
KÒSA en créole, ça veut dire ce corps-là
-
et on aborde la question de la mort
racontée à partir des enfants
-
et à partir de spécialistes
en astrophysique,
-
en théologie et en dermatologie.
-
Wow!
-
Est-ce que c'est un petit peu par rapport,
-
mais est-ce que vous avez
des endroits où vous les présentez
-
ou ça va être sur internet,
est-ce que vous savez encore...?
-
En fait, la beauté,
c'est que quand on embarque
-
dans un laboratoire
chorégraphique documentaire,
-
on se donne la liberté de ne pas
savoir qu'est-ce qui va sortir,
-
puis c'est ça qui est le fun.
-
Par exemple, SCÒ,
-
j'étais convaincue que ça allait
être une œuvre de groupe
-
avec peut-être quatre, cinq interprètes,
-
puis on allait avoir des objets
scénographiques sur scène,
-
puis les musiciens avec qui on travaille,
-
le groupe Aukan à Toronto,
-
on se dit OK,
ça va être une œuvre sur scène.
-
Et au bout de 36 heures de création
en laboratoire avec scénographe,
-
vidéaste, coordonnatrice d'éclairage,
-
les témoignages que j'ai récoltés
de Saint-Justine, de chiropraticiennes,
-
beaucoup de monde.
-
Et avec l'Université de Montréal
en partenaire aussi.
-
À la fin, j'ai réalisé que ce n'était pas
un show de danse sur une scène régulière,
-
que le message devait se canaliser
-
dans une installation audio,
numérique, projection
-
et performance de temps en temps,
-
ce qui veut dire que notre nouveau marché
devient des musées.
-
Donc, RD Créations
a déjà monté une exposition,
-
l'exposition Conversation,
-
mais là on va faire
notre deuxième itération
-
en installation numérique,
-
puis ça va être le projet SCÒ.
-
En fait, on est pile poil là-dedans
en ce moment,
-
ce qui veut dire que la danse,
-
puis la chorégraphie documentaire
nous emmène vers autre chose.
-
Et en ce tenant cette liberté-là,
-
si on avait scellé tout de suite
avec un diffuseur en danse,
-
là, on serait mal pris pour lui dire,
-
finalement sais-tu quoi,
c'est pas un show de danse.
-
Le show de danse arrive
dans la performance
-
de l'installation numérique
qui devrait être dans un musée.
-
Tandis que maintenant,
on est capable vraiment
-
d'avoir une vision encore plus claire,
une proposition plus posée,
-
puis une capacité d'aller
rallier des partenaires
-
qui vont être d'autant plus orientés
vers ce qu'on veut faire.
-
Puis pour KÒSA,
-
moi, j'imagine que c'est
mon prochain symphonie
-
parce que c'est quand même une œuvre
qui risque d'être assez grosse
-
en raison des trois grands sujets
qu'on aborde.
-
Et puis c'est une œuvre
qui s'en va en 2028, 2029.
-
Donc, on travaille sur des trois ans,
-
notre compagnie, nos créations
sortent pas ou peu,
-
le plus tôt c'est deux ans et demi,
deux ans et quelques de travail,
-
mais la chorégraphie documentaire
demande trois ans de travail.
-
Il faut vraiment, vraiment
avoir une bonne documentation,
-
un archivage pertinent,
-
les partenaires ralliés,
-
une chorégraphie où ce que la signature,
elle est d'autant plus pointue.
-
Puis il ne faut pas oublier la polyrythmie
pour RD Créations puis dans le langage,
-
la chorégraphie documentaire
qui est vraiment important.
-
Si on veut que le langage de corps
soit vraiment fort,
-
il faut que le langage musical aussi
-
soit écrit en même temps
que le langage de corps.
-
Donc ça, c'est un autre corps
qu'on pourrait parler longuement là,
-
c'est quoi le lien
corps musique, corps instrument.
-
Oui,
-
le rôle du musicien ou de la musicienne
en tant qu'accompagnateur, accompagnatrice
-
en dehors de la classique
-
parce que c'est tout un univers
dans la polyrythmie.
-
Super inspirant, c'est vraiment inspirant.
-
Puis, merci beaucoup de nous avoir
donné de votre temps pour discuter,
-
discuter comme ça,
c'est vraiment intéressant.
-
Ah ça fait plaisir,
mais j'ai une question pour vous.
-
Oui.
-
J'aimerais savoir aujourd'hui
-
vous regardez, tu sais,
le milieu de la danse
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puis vous avez vos rêves,
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à quoi vous rêvez?
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Je pense que de toucher les personnes
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parce que je rêve d'être sur la scène,
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mais plus que de m'impacter moi,
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je veux impacter
ceux qui sont autour de moi.
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Alors je pense que tout ce que
vous nous avez expliqué aujourd'hui,
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vous avez partagé avec nous,
c'est inspirant
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parce que ça me confirme
que c'est possible
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de toucher des centaines
et des milliers de personnes
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et oui, c'est ça alors, oui.
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Mais moi, c'est un peu la même chose,
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puis je pense que c'est de vivre
à travers la danse surtout
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et de voir comment
ça peut toucher à tout le monde,
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puis on est beaucoup
plus ouvert maintenant je dirais,
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puis le fait qu'on est ouvert
à toutes les communautés
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et que tout le monde va avoir
l'opportunité de danser,
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donc ça c'est mon rêve.
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C'est qu'il n'y a plus de barrières.
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Je vous le souhaite,
je vous souhaite collectivement, oui.
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Merci.
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Oui, de concrétiser les plus grands rêves,
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les rêves les plus fous
que vous avez en tête déjà
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et surtout ceux
que vous ne connaissez pas encore.
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Oui, merci.